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recevoir des chefs de la ville assiégée le pouvoir de traiter. Ménager une occasion d’armistice, c’était tout ce que pouvait se permettre l’intervention européenne, et de cette idée conçue à Saint-Pétersbourg, favorisée d’un autre côté par l’Angleterre, appuyée par tous les neutres, accueillie au camp allemand, naissait pour M. Thiers la possibilité de paraître en plénipotentiaire à Versailles aux derniers jours d’octobre après un court passage à Paris. Ce n’était plus, comme à Ferrières, une démarche de sentiment tentée par le ministre d’une révolution auprès d’un vainqueur impérieux et ironique, c’était cette fois une vraie et sérieuse négociation où M. Thiers, en traitant pour la France, semblait représenter la pensée conciliatrice des neutres.

Faire sortir une trêve de la situation où l’on se trouvait, au moment même où la guerre s’assombrissait d’un désastre de plus, la capitulation de Metz (26 octobre), — ce n’était pas facile. Tout restait compliqué et incertain. A Tours, la délégation n’avait pas refusé d’adhérer à la négociation proposée, — à la condition toutefois, c’était déjà entendu, que M. Thiers pourrait aller chercher dans Paris des instructions définitives. La délégation de Tours se prêtait à cette tentative sans en désirer peut-être bien vivement le succès ; elle avait, depuis l’arrivée de M. Gambetta, toutes les ardeurs de la lutte, elle se flattait de disposer des forces de la France pour continuer la guerre, elle se révoltait à l’idée de paraître rendre les armes et de subir les conditions du vainqueur. A Paris, où M. Thiers entrait le 30 octobre pour vingt-quatre heures, après avoir traversé péniblement les lignes allemandes et Versailles sans s’arrêter, à Paris, le gouvernement avait sans doute le plus vif désir d’une trêve qui le délivrerait d’une effroyable responsabilité, et s’il n’eût tenu qu’à lui, il se serait probablement prêté à de sérieuses concessions; mais il se sentait sous le regard d’une ville exaltée par le patriotisme, qui résistait depuis six semaines sans se laisser ébranler. Il vivait sous la menace incessante des passions révolutionnaires, qui se servaient du généreux prétexte de la défense pour aller l’assiéger jusque dans l’Hôtel de Ville, et il n’aurait pas osé avouer tout ce qu’il pensait. A voir les émotions violentes et confuses suscitées brusquement par l’arrivée de M. Thiers portant la double nouvelle de l’ouverture d’une négociation d’armistice et de la capitulation de Metz, on pouvait soupçonner quelle difficulté il y aurait à faire accepter les dures conditions de la trêve. — A Versailles, d’un autre côté, au camp ennemi, M. de Bismarck lui-même semblait assez disposé à traiter. Il avait accepté la négociation, un peu sans doute par condescendance pour les neutres, peut-être aussi un peu parce qu’il désirait en finir, parce qu’il commençait à avoir l’impatience d’un siège prolongé ; mais il doutait de l’autorité du gouvernement de Paris, de la résignation