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jouée par des rois et des héros » les exemples, — je ne dis pas les modèles, — en abonderaient dans le théâtre des contemporains du Cid et de Polyeucte.

Là, dans un dédain exagéré du fait et dans une indifférence réelle à l’histoire, est le principal défaut du livre de M. Krantz. Nous le verrons mieux encore en examinant avec lui les trois théories qui dans leur étroite formule enfermeraient, à son sens, non-seulement l’esthétique de Descartes, mais la littérature française classique du XVIIe siècle tout entière.

La première est ce qu’il appelle la Théorie de la beauté par l’universel, platonicienne d’ailleurs (et il est bien obligé de l’avouer lui-même quelque part) autant que cartésienne. Tout de même donc que la vérité serait de tous les temps et de tous les lieux, la même à Paris qu’à Rome, et telle enfin, selon le mot de Malebranche, que l’on ne puisse pas concevoir qu’un Chinois refusât d’en tomber d’accord après l’avoir bien considérée, tout de même la beauté serait universelle, et se réduirait pour nos classiques au peu qui subsiste de l’homme ou des choses, quand on en a successivement éliminé, par analyse et par abstraction, toutes les particularités qui déforment l’idéal lui-même en le caractérisant. Le procédé de M. Krantz pour arriver à la démonstration de son paradoxe est extrêmement curieux. Il commence par établir que ni Corneille, ni Pascal, (ni Bossuet sans doute qu’il oublie), n’ont subi l’influence de Descartes, ou ne l’ont subie qu’impatiemment : négligeons-les. Il nous rappelle qu’à titre d’élève ou d’auditeur de Gassendi, Molière appartenait à la philosophie sensualiste de son temps, et comme il ne dit mot non plus de La Fontaine, c’est sans doute qu’il a quelque raison du même genre : écartons-les. Il ne fait mention ni du cardinal de Retz, ni de Mme de Sévigné, ni naturellement de Saint-Simon; auteurs de Mémoires ou de Correspondances, tous les trois écrivent dans l’ombre, et le dernier dans le mystère même : n’en parlons pas. Oublions enfin Fénelon, Bourdaloue, Massillon, et tous ceux qu’on me dispensera de nommer; il nous reste Boileau, non pas même tout Boileau, car M. Krantz ne l’étudiera que dans l’Art poétique ; il nous reste Racine, ou du moins les préfaces de Racine, et avec cela l’unique Bérénice; il nous reste aussi Mme de La Fayette, ou plutôt la Princesse de Clèves; que faut-il davantage? et n’est-ce pas amplement de quoi se faire une juste idée de la « littérature française classique au XVIIe siècle? » Relevons donc, de ci, de là, quelques traits à la