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une fois ce principe accordé, nous demanderons aux disciples pessimistes de Darwin si la philanthropie a l’habitude d’assurer aux indigens le luxe et la vie molle des aristocraties. Elle permet du moins, nous dira-t-on, l’oisiveté ; mais c’est alors la faute de ceux qui viennent au secours des travailleurs, car ils ont le droit et le devoir d’exiger du travail eu échange de leur assistance.

Nous n’avons encore examiné que le premier des théorèmes darwiniens relatifs aux effets de la philanthropie mal appliquée : une société peut baisser sous le rapport physique par la conservation artificielle de ses membres les plus faibles, si elle n’agit pas dans le vrai sens de la nature. Mais les darwinistes ajoutent qu’elle baisse aussi sous le rapport moral par la conservation artificielle des individus « les moins capables de prendre soin d’eux-mêmes. » Le principe sur lequel ce nouveau théorème repose, c’est que les lois de l’hérédité et de la sélection s’appliquent au moral comme au physique. Ce principe, nous reconnaissons que MM. Galton, Ribot et Jacoby l’ont mis hors de doute. Les vices moraux finissent par se transmettre, comme les vices physiques, de génération en génération, quand ils sont depuis longtemps implantés dans les familles ou les races. Darwin insiste beaucoup sur la transmission de cette qualité morale qu’on appelle le caractère, la force de volonté, le courage, la fierté qui fait que l’on compte sur soi et non sur les autres; d’autre part, selon lui, il est des gens lâches, paresseux et insoucians par droit de naissance, tels que les Irlandais. Transportez sur une même terre, un certain nombre d’Irlandais et autant d’Écossais, dit Darwin; au bout d’un temps déterminé, les Irlandais seront devenus dix fois plus nombreux que les Écossais, mais ceux-ci, grâce à leurs qualités héréditaires, seront tous à la tête et occuperont les hautes places[1]. Si quelqu’un conteste, dit à son tour M. Spencer, que les enfans ressemblent à leurs parens par leur caractère moral et leur capacité intellectuelle, s’il soutient que les fils et les petits-fils des criminels ont des tendances moins bonnes que les enfans dont les parens et les grands-parens étaient industrieux et honnêtes, il peut admettre sans inconséquence qu’il n’importe point à la société de quelles familles sortent et sortiront les générations successives ; il peut ne voir aucun inconvénient

  1. Encore faut-il, ici même, faire la part de l’éducation. Menez des enfans irlandais dans les berceaux de jeunes Écossais, sans que les parens s’aperçoivent de la substitution, et faites-les élever par les Écossais, vous aurez probablement la surprise de reconnaître que le résultat final ne sera pas beaucoup modifié. Stuart Mill fait remarquer avec raison que les Irlandais, paresseux chez eux, deviennent très laborieux en Amérique.