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soumises à des influences malsaines deviennent chétives et maladives ; la croissance des enfans avorte : ils sont anémiques, faibles, petits de taille, maigres, frappés d’infirmités telles que les goitres, la pellagre, les ophtalmies, le crétinisme. On ne fortifierait pas l’humanité en lui faisant habiter les contrées malsaines plutôt que les contrées saines. De même, un excès de travail épuise l’intelligence et le corps des générations comme des individus. Sans doute les plus forts survivent, mais ils survivent affaiblis, et, quoique relativement forts, ils sont réellement devenus faibles ; ce sont des borgnes parmi des aveugles. On a ainsi obtenu artificiellement une survivance de faibles qui engendreront des faibles à leur tour. L’argumentation des darwinistes pourrait donc se retourner et nous poserons à notre tour le théorème suivant : — Réaliser les conditions normales les plus favorables au développement de l’humanité, c’est assurer le développement et la sélection d’une majorité de forts, tout en ne sauvant qu’une minorité de faibles ; car il est exceptionnel d’être malade quand on est dans les meilleures conditions d’hygiène et de nourriture.

C’est seulement, selon nous, pour les conditions anormales qu’est valable le raisonnement de M. Spencer, reproduit par M. de Candolle. Si l’on élève les enfans dans la mollesse, dans la paresse intellectuelle et physique, si on les nourrit de sucreries au lieu de pain et de viande, si on les élève en serre chaude et non au grand air, si on ne les laisse prendre aucun exercice de peur qu’ils ne se fatiguent, il est clair qu’on les abâtardit et qu’on prépare, par leur intermédiaire, l’abâtardissement de la race elle-même. En un mot, c’est le luxe, c’est la mollesse et l’oisiveté qui sont des causes de décadence pour une génération. Il n’est pas étonnant, à ce point de vue, que le docteur Jacoby ail pu démontrer l’inévitable extinction qui attend toute famille royale ou aristocratique, qu’il s’agisse des Césars, des Médicis, des Valois, des Bourbons, de notre noblesse française, de l’aristocratie vénitienne ou des lords anglais, car c’est dans ces familles que les causes de décadence, inséparables du pouvoir et de la richesse, produisent leurs résultats fatals. « La stérilité, les psychopathies, la mort prématurée et finalement l’extinction de la race ne constituent pas un avenir réservé spécialement et exclusivement aux dynasties souveraines : toutes les classes privilégiées, toutes les familles qui se trouvent dans des positions exclusivement élevées, partagent le sort des familles régnantes, quoique à un degré moindre, qui est toujours eu rapport direct avec la grandeur de leurs privilèges jet la hauteur de leur fonction sociale[1]. » Mais,

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