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plans destinés à vérifier si, oui ou non, les mariages consanguins sont nuisibles à l’espèce. » Selon Darwin, les deux sexes doivent s’interdire le mariage lorsqu’ils se trouvent dans un état trop marqué d’infériorité de corps et d’esprit. Il en est de même de ceux « qui ne peuvent éviter une abjecte pauvreté pour leurs enfans, car la pauvreté est non-seulement un grand mal en soi, mais elle tend à s’accroître en entraînant à sa suite l’insouciance dans le mariage. » M. Ribot espère avec raison que les mœurs finiront par tenir compte des données de la science dans cette grave question[1], mais il laisse entrevoir l’intervention finale de la loi. C’est là, selon nous, un moyen dangereux. En prétendant favoriser des mariages bien assortis au point de vue physique, la loi pourrait d’abord favoriser la débauche et la naissance des enfans illégitimes. Or, la débauche et l’union temporaire des sexes, non accompagnée de prévoyance ni de charges déterminées, «encombrerait » la société de « non-valeurs » encore bien plus que les mariages des êtres faibles. En second lieu, l’intervention de la loi pourrait, plus encore que ns le fait parfois celle des parens, empêcher des mariages bien assortis au point de vue moral et intellectuel, comme au point de vue du cœur. Enfin, les gouvernemens sont encore moins infaillibles que les parens quand il s’agit de prendre une décision relative à l’avenir des enfans. Tout ce qu’on pourrait faire, ce serait d’exiger que ceux qui veulent se marier justifient de leurs moyens d’existence et de la possibilité d’élever leurs enfans. Encore faudrait-il, répétons-le, éviter d’encourager, comme en Allemagne, les naissances illégitimes. Mais cette question n’est pas, à vrai dire, du ressort de la philanthropie proprement dite, dont nous nous occupons spécialement. La philanthropie ne peut être ici accusée que pour les secours qu’elle donne aux faibles de corps, pour la prolongation artificielle de leur existence et pour le moyen qu’elle peut leur fournir de mettre au monde des enfans encore plus faibles. Or, sur ce point, les darwinistes exagèrent le mal causé par la philanthropie, car ils oublient qu’elle ne peut entièrement transformer la nature : son pouvoir se borne soit à prolonger l’existence de l’individu (ce qui n’est pas un grand mal), soit à prolonger sa race pendant un temps plus ou moins court. De deux choses l’une : ou le mal secouru par la philanthropie est un germe fatal de déchéance et de mort pour la postérité de l’homme secouru, et alors la bienfaisance ne fera que retarder, sans l’empêcher, l’inévitable extinction de cette postérité ; ou au contraire le mal est réparable et la postérité peut se relever, se fortifier, se perfectionner, en un mot gravir la montagne

  1. L’Hérédité psychologique, p. 382.