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œil, il en devint épris et accepta complètement son empire. Le prince d’Éboli eut dix enfans en douze ans ; l’un d’eux, il est vrai, et il faut le dire tout de suite, l’aîné, le duc de Pastrana, était blond comme Philippe : toute la cour le regardait comme un fils du roi et lui-même sembla toujours se donner comme tel ; il était traité avec des honneurs spéciaux, comme le prince d’Ascoli, fils naturel de Philippe.

À la mort du prince d’Éboli, la princesse se retira deux ans dans un couvent de carmélites, puis elle revint à la cour et prit un amant : elle avait trente-quatre ans, elle portait un bandeau noir sur l’œil ; elle savait pourtant plaire encore, et le roi la vit avec déplaisir s’attacher à Escovedo, qui avait été un simple commis du prince d’Éboli. Escovedo savait trop de choses : il avait été choisi par le roi pour lui servir d’espion auprès de don Juan d’Autriche. Il avait remplacé auprès de ce dernier Soto, que le roi soupçonnait d’avoir conduit des négociations avec le pape Grégoire XIII en vue de placer une couronne de Tunisie sur la tête du vainqueur de Lépante ; la jalousie de Philippe n’avait pas permis à don Juan de tirer les fruits de sa grande victoire, Tunis et la Goulette furent perdus, la garnison espagnole fut massacrée par les Arabes et les Turcs ; deux ans après Lépante, ils étaient redevenus les maîtres de la Méditerranée. La jalousie de Philippe suivit don Juan d’Autriche dans les Flandres. Tantôt il flatte l’ambition romanesque du jeune prince, tantôt il l’abandonne et le laisse languir sans instructions, sans argent ; après vingt ans de règne, il cède devant la nécessité, il parle de pardon, d’oubli du passé, ou au moins de dissimulation ; il veut faire de don Juan l’instrument de sa réconciliation avec les Flandres ; il semble qu’il prenne plaisir à voir le triomphateur devenir pacificateur et s’embarrasser de plus en plus dans les détours d’une politique humiliée. Don Juan songe à épouser Elisabeth d’Angleterre, il lui faut une couronne ; son frère ne dit ni oui ni non, il veut ajourner « l’affaire d’Angleterre ; » mais don Juan insiste : « Voilà que j’ai plus de trente ans, la vie me couste, je peux bien me laisser tenter par la pensée de songer à mes propres affaires. » Escovedo, qui est l’œil et l’oreille de Philippe, n’en caresse pas moins l’ambition de don Juan ; il sert deux maîtres, ou plutôt il les trompe tous les deux. Don Juan enfin se désespère, il demande son rappel, il envoie Escovedo à Madrid pour arracher à Philippe quelque chose de plus que de vagues promesses. Le jeune prince fit de vains appels à son frère ; on le laissa des mois sans nouvelles. Que se passait-il donc à Madrid ?

Antonio Perez, devenu l’amant de la princesse d’Éboli, crut assurer sa fortune en augmentant et nourrissant les soupçons de Philippe