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Perez à Guillaume du Vair que, durant quatre mois, on lui donnerait, une potion si lente, laquelle serait distribuée en tous ses repas, qu’insensiblement il perdrait les forces et la vie, ce qui fut exécuté. » Perez n’est pas un ennemi digne de créance ; il a aussi accusé Philippe d’avoir empoisonné Élisabeth, sa femme ; serviteur infidèle, traître à son souverain, à son ancien maître, il ne pouvait faire excuser sa bassesse qu’en représentant Philippe comme un monstre chargé de crimes. C’est assez que, pendant la détention de don Carlos, son père n’ait jamais témoigné de pitié pour ses souffrances, qu’il ait refusé de se rendre auprès de lui, quand l’infant, affaibli par les vomissemens et la diarrhée, demanda à le voir, qu’il ait interdit à la reine et à la princesse Juana de le visiter dans sa prison. Six mois après l’arrestation, le prince, réduit à l’état de squelette, rendit l’âme. « La mort de mon fils, écrivit Philippe au marquis de Villafranca, a été celle d’un prince catholique, ce qui m’est une grande consolation. » Au duc d’Albe il ouvre un peu plus son cœur, il parle de « son cher fils le prince ; » il espère que Dieu lui accordera la grâce de pouvoir endurer cette calamité avec le courage et la patience d’un chrétien. Quels que soient les mystères qui couvrent la fin de don Carlos, il y aurait un mystère plus grand encore dans l’insensibilité qu’on a reprochée à Philippe II dans cette circonstance : la tranquillité qui lui permettait de régler une question d’étiquette pour les funérailles n’était sans doute que le masque du souverain. Le père ne pouvait pas ne pas souffrir mille tortures en voyant son héritier se débattre et périr dans une prison sous les étreintes d’une furieuse et incurable folie. Le souvenir de don Carlos le hanta toujours dans son Escurial, au fond de ses cabinets ; les affaires du monde entier, confiées à ses soins, ne purent l’en distraire. Une noire tristesse s’empara de lui ; il put se demander s’il n’avait pas réduit son fils au désespoir par des sévérités trop grandes et s’il n’avait pas quelque part de responsabilité dans cette suite d’excès et de violences qui avaient eu leur terme dans la folie et dans la mort.

La conscience de Philippe connut encore d’autres tortures : ses amours, toujours mystérieuses, l’avaient conduit aux résolutions les plus criminelles. Longtemps Ruy Gomez, prince d’Eboli, avait été son confident ; il avait suivi Philippe à Londres, il avait aidé le roi à porter « le calice » de l’amour de Marie Tudor ; de valet intérieur, il était devenu ministre et longtemps il avait été, avec le duc d’Albe, une des colonnes qui soutenaient la monarchie espagnole. Il avait épousé une jeune fille de douze ans, Anna de Mendoza, qui avait de grandes richesses, avant même le départ de Philippe pour les Flandres. Il ne la revit que cinq ans après et, bien qu’elle eût perdu un