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que ceux que soutenait sa faveur. Il ne se faisait humble qu’avec son père et avec les représentans de l’église. Les premières difficultés que Philippe rencontra dans les Flandres lui furent léguées par Charles Quint : « L’histoire, dit avec justice M. Gachard, ne saurait, mettre sur le compte de Philippe II les dispositions draconiennes des placards (ces placards prononçaient la peine de mort contre les hérétiques, provoquaient à la délation, etc) ; c’est Charles-Quint qui en était l’auteur. Ce monarque, effrayé des conséquences que pouvaient avoir les nouvelles doctrines religieuses, s’en était montré l’adversaire implacable durant tout son règne ; il avait particulièrement pris à tâche d’empêcher qu’elle se répandissent dans ses états des Pays-Bas… » L’établissement de l’inquisition aux Pays-Bas était, comme les placards, l’ouvrage de Charles-Quint. M. Gachard reconnaît que Philippe II n’innova en rien dans les Pays-Bas. Pourquoi les édits de son père ne lui avaient-ils point été l’affection de ses peuples ? et pourquoi se révoltèrent-ils contre le fils ? Philippe ne mit aucune mesure dans ses rigueurs ; il commit, en outre, une faute énorme en ne se rendant pas de sa personne dans des provinces qui étaient accoutumées à voir son père. Ses dépêches à la gouvernante laissaient percer une méfiance universelle, même envers les juges, dont il accusait « la négligence, flocheté (faiblesse) et dissimulation. » La dépêche, datée du bois de Ségovie (17 octobre 1565), d’où ces mots sont extraits, fut l’étincelle qui alluma l’incendie La noblesse, si dévouée à Charles Quint, se révolta, s’irrita et signa le pacte qui l’unit à la cause des libertés populaires.

Quand Philippe vit la grandeur du péril, il crut encore qu’il lui suffirait d’imiter son père et de châtier les rebelles des Flandres comme celui-ci avait châtié les Gantois. Quand il apprit que les révoltés avaient saccagé l’église d’Anvers et commis des sacrilèges, il se tira la barbe et s’écria : « Il leur en coûtera ! oh ! j’en jure par l’âme de mon père ! » Toujours la pensée de Charles-Quint le hantait ; mais, comme dit M. Gachard, « Charles-Quint, pour réprimer la rébellion des Gantois en 1539, était accouru du fond de l’Espagne, sans se laisser arrêter même par le danger qu’il y avait pour lui, dans l’opinion de plusieurs de ses ministres, à traverser les états d’un prince dont la conduite antérieure ne pouvait lui inspirer qu’une médiocre confiance. La présence du roi aurait contribué plus que toutes les mesures despotiques qui furent mises à exécution par le duc d’Albe à ramener la tranquillité dans le pays. Philippe aurait vu toute la noblesse se ranger avec empressement autour de son trône ; il eût été respecté et obéi de la nation. »

En Espagne, Philippe II vivait dans cette perpétuelle exaltation