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garde, tu vas compromettre ton nom ! » Dans je ne sais plus quel petit journal il avait publié une chanson :


Malgré ta forte férule,
Ton gourdin armé de clous,
Cupidon te caligule,
Toi le roi des tourlourous :
File, file, bon Hercule,
File, file, file doux !


Et l’avait signée de ses initiales L. C. Le pauvre Timon en faillit perdre la tête et répétait : « Qu’allons-nous devenir ? tu as compromis ton nom ! C’est ton ami Maxime qui te pousse à ces inconvenances. » C’était toujours sur moi que ricochaient ces mauvaises humeurs, mais je n’étais point timide et ne me troublais pas pour si peu. Louis se sentait pris dans son nom comme dans une maison de verre ; il n’osait remuer dans la crainte de l’étoiler. Je bondissais d’impatience et je me révoltais de cet esclavage moral dans lequel il ne pouvait se mouvoir, et je lui avais dit : « C’est ton père qui est Cormenin ; ce nom est attaché à un titre que tu ne portes pas encore ; ton vrai nom, ton nom patronymique, est de La Haye ; reprends-le, signe-le et moque-toi du reste. » Louis n’osa jamais ; la vénération qu’il avait pour son père ne lui permettait pas un acte de résistance. Je citerai deux exemples de ce respect exagéré du nom paternel. Louis m’avait servi de témoin dans une « affaire » qui devait se dénouer à Saint-Germain ; au moment de monter en wagon, il me dit : « Je ne puis pas aller jusqu’au bout : j’ai peur de compromettre mon père. » J’en fus quitte pour le remplacer par un sous-officier de dragons que je rencontrai et que je ne connaissais pas. Une autre fois, beaucoup plus tard, lorsqu’il était déjà marié, il arriva dans une soirée où l’on avait gardé la mauvaise habitude, — l’habitude officielle, — d’annoncer. L’aboyeur lui demanda son nom ; il répondit : « M. et Mme Louis. » Etait-ce simplement la crainte de voir son nom compromis, que Louis était incapable de compromettre, qui animait Timon ? Je voudrais le croire ; mais à travers ces objurgations et ces insistances, il me semble voir poindre un autre sentiment. Il voulait qu’il n’y eût qu’un Cormenin : entendre dire Cormenin jeune et Cormenin aîné ne lui convenait guère. Son rayonnement lui paraissait assez lumineux pour éclairer même son fils. Il consentait à donner la clarté et se refusait à la recevoir. En 1849, lorsque Louis se présenta devant le scrutin électoral d’Orléans, il lui eût suffit, pour réussir, d’être appuyé par son père, qui était alors un personnage avec lequel on