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aussi bien qu’une absurdité politique ? « Une nation, a dit encore avec raison M. Paul Leroy-Beaulieu, ne peut avoir à l’étranger que deux sortes d’intérêts : ou bien les intérêts religieux, moraux, historiques, ce que les Anglais appellent les intérêts sentimentaux ; ou bien les intérêts matériels, qui sont des intérêts d’affaires, de commerce, d’industrie, de finance, car la finance est la forme nouvelle que, sous le régime démocratique des fortunes morcelées et des sociétés anonymes, revêtent la plupart des entreprises industrielles et commerciales. Quand on a dit : « Il y a dans cette question des intérêts financiers, » cela ne veut pas dire le moins du monde des intérêts inavouables ; car les intérêts financiers sont absolument de même nature que les intérêts commerciaux, et, en dehors de ceux-ci, il n’y a plus à l’étranger que des intérêts sentimentaux. »

Qu’on ne croie pas que ce soit par vertu républicaine, par excès d’humeur Spartiate, que les radicaux prêchent ainsi l’abandon de la fortune de la France au dehors. Non ! c’est la jalousie démocratique, la haine de la richesse qui les inspirent ; il faut voir dans les théories qu’ils émettent sur les affaires à l’extérieur une nouvelle forme de cette guerre au capital qui, à l’intérieur, conduit au socialisme et produit les effets que l’on connaît. Ainsi, d’une part, l’ignorance de l’histoire, le dédain du passé, les portent à méconnaître les intérêts sentimentaux dont on peut bien médire, mais qui n’en sont pas moins un puissant ressort politique, puisqu’ils constituent une force morale immense ; et, d’autre part, les passions démagogiques, l’envie, la lutte contre les avantages sociaux les convient à compromettre les intérêts matériels qui, eux aussi, malgré toutes les médisances, sont un puissant ressort politique et peuvent devenir un admirable instrument de civilisation. Ajoutez à cela le manque d’énergie ou, pour appeler les choses par leur nom, la peur, qui enlève à une nation vouée aux idées et aux sentimens ultra-démocratiques le courage nécessaire à l’accomplissement des grandes œuvres. L’amour des jouissances matérielles, l’incapacité de supporter le moindre effort susceptible de blesser, de se prêter à aucun sacrifice en vue d’atteindre un but élevé, le dégoût de tout ce qui demande une résolution soutenue, le désir de ne travailler que pour soi, de ne pas compromettre ses commodités personnelles dans l’espoir de profits lointains dont d’autres profiteront, le manque de solidarité entre les générations, l’égoïsme du bien-être immédiat uni à la faiblesse du cœur sont les défauts les plus graves, les plus dangereux des sociétés chez lesquelles la démocratie mal comprise et poussée à ses extrêmes limites devient l’idéal du gouvernement. Mais une nation qui a vécu d’un autre régime, qui s’est fait ainsi