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L’écho des violentes diatribes soulevées par la question de Tunisie et par celle du contrôle égyptien n’est point encore dissipé. La république française tend de plus en plus à devenir semblable aux républiques antiques, dans lesquelles l’accusation de péculat et de concussion pesait sans cesse sur les détenteurs de l’autorité. Par malheur, les hommes injustement soupçonnés, s’ils ont une conscience trop délicate, ne sauraient que se vouer à la retraite, et, s’ils sont moins bien trempés pour la vertu, leur unique ressource, ne pouvant sauver leur réputation, est d’abandonner aussi leur honneur. Partout où les fonctions publiques sont avilies, les fonctionnaires deviennent tôt ou tard médiocrement honnêtes. Dieu nous préserve de ce danger ! Quant à la question même de la protection des intérêts matériels au dehors, il faudrait pourtant se rendre compte des conditions économiques dans lesquelles la France est placée et comprendre que si on lui interdit de faire usage de ses immenses richesses à l’extérieur, on lui enlève un élément d’influence, un instrument de puissance admirable, le plus efficace peut-être des temps modernes. En créant de grandes industries, de vastes mouvement commerciaux dans les pays lointains, nous y créons des milliers d’intérêts qui sont si intimement unis aux nôtres que rien ne saurait les en détacher. Nous faisons par conséquent de bonne, d’excellente politique. Quelque mal qu’on ait dit de « la conquête économique, » l’avenir lui est réservé. Le peuple qui saura s’en servir avec le plus de hardiesse et d’habileté deviendra le premier peuple du monde. Mais il est clair que la condition première de cette conquête, c’est que la nation qui l’entreprend n’ait pas honte de son œuvre. Pour que les forces matérielles, pour que les capitaux nous assurent des succès pareils à ceux que nous obtenions autrefois au moyen des forces morales, il est de toute nécessité que nous les dirigions et que nous les soutenions énergiquement. Nous avons établi notre protectorat sur certains pays, sur le Liban, par exemple, au nom de la religion. À notre époque moins idéaliste, c’est au nom de la fortune publique que nous pourrons obtenir des avantages semblables. Et rien ne sera plus légitime, plus démocratique, quoi qu’en pensent les moralistes radicaux. En portant nos capitaux au dehors, nous donnerons à des millions d’hommes, aujourd’hui dans la misère, des moyens d’existence. En surveillant ces capitaux, nous leur apprendrons l’ordre, l’économie, le respect des conventions. Le contrôle égyptien, fondé pour protéger les créanciers, avait assuré à l’Egypte une liberté et une prospérité qu’elle n’avait pas connues depuis les pharaons. Jamais les fellahs n’avaient été aussi heureux ; jamais le gouvernement égyptien n’avait été aussi honnête. Sans doute, le protectorat financier est une chose délicate,