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dans une école congréganiste, une cinquantaine de jeunes Maltais et de jeunes Italiens chanter à pleine voix des chansons en l’honneur de la France. On a beau être éloigné du cléricalisme, il est impossible, sur ces plages lointaines où l’on sent si cruellement le poids de l’exil, de ne pas être ému par des scènes pareilles. À coup sûr, M. Waddington, qui est protestant, ne saurait être soupçonné de tendresses exagérées pour le catholicisme, et, néanmoins, c’est lui qui a le plus énergiquement poussé au développement des écoles catholiques dans toutes les échelles du Levant. S’il avait placé, comme le font les libres penseurs de la chambre, ses convictions personnelles au-dessus de l’intérêt de son pays, s’il avait eu une intolérance égale à la leur, il n’eût point agi ainsi ; car le protestantisme fait en Orient depuis quelques années une concurrence des plus heureuses au catholicisme. Plusieurs millions sont dépensés chaque année en Syrie par les sociétés bibliques, et, chose remarquable ! c’est surtout dans les positions stratégiques, dans les villes, dans les villages situés sur les grandes routes militaires ou commerciales que le zèle religieux de ces sociétés se manifeste par des créations d’écoles. C’est qu’avec le protestantisme se répandent la langue et l’influence anglaise ou allemande. L’Orient est religieux ; c’est un fait dont il faut bien tenir compte, du moins jusqu’au jour où, par l’influence de M. de Freycinet, il aura été laïcisé. En attendant, dénoncer le protectorat catholique serait une folie. Nous dépensons en France de trop grandes sommes à créer des écoles laïques pour qu’il nous en reste à employer au même usage en Orient. Nous devons donc, ou renoncer à voir notre langue dominer, comme elle le fait, sur la Méditerranée, ou accepter cette triste nécessité qu’elle y soit enseignée par des jésuites et des capucins.

Mais, à côté de l’influence morale que nous exerçons en Orient par le protectorat catholique, il en est une autre qui tend de plus en plus à prendre une importance capitale et qui cependant n’a pas été moins attaquée que la première dans les récentes discussions des chambres. Il faut avoir quelque courage pour oser dire aujourd’hui que la France a le droit, voire même le devoir de protéger les intérêts matériels de ses nationaux à l’étranger, car on s’expose, en le faisant, aux accusations les plus odieuses, lorsqu’elles ne sont pas les plus ridicules. Le parti radical, en particulier, semble s’être donné la tâche de démontrer que tous les Français qui font des affaires ou qui placent des capitaux au dehors sont des aventuriers, des exploiteurs, des usuriers dignes de mépris ; à plus forte raison poursuit-il de ses attaques injurieuses les agens qui soutiennent leurs entreprises et qui tentent de les faire réussir.