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penseurs de la chambre, nous retirons l’ambassadeur accrédité auprès de la cour pontificale ; si nous travaillons de plus trop activement, suivant le mot de M. de Freycinet, à laïciser notre influence en Orient, le pape sera peut-être un jour tenté de se rappeler qu’après tout il est Italien et d’accepter les propositions de l’Italie. Qu’importe ! dira-t-on ; la plupart des moines d’Orient sont, eux aussi, Italiens ; c’est donc une sottise de notre part de les protéger ; laissons-les à leur protecteur naturel. Mais comment ne voit-on pas que c’est précisément parce que les congrégations et les clergés d’Orient sont peuplés d’Italiens qu’il importe de les garder sous notre autorité ? En les protégeant, nous les absorbons, nous les empêchons de faire campagne pour leur pays, dont, sans cela, ils favoriseraient très efficacement les visées entreprenantes ; comme ils ne peuvent rien sans nous, comme dans toutes leurs relations avec les autorités indigènes ils sont obligés de passer par notre intermédiaire, il est impossible qu’ils abusent de leur influence, qui est immense, au profit de leur patrie. En réalité, notre protectorat est une tutelle, un frein. On ne saurait croire d’ailleurs le prestige que nous en retirons auprès des populations. C’est peut-être un grand malheur, mais dans presque toutes les échelles du Levant les populations sont très catholiques ; elles sont si retardataires, hélas ! qu’elles vont à la messe, et que même elles y vont avec un sentiment de piété poussé jusqu’à la superstition la plus complète. Ceux qui ont visité la Syrie le savent bien. Mais j’en ai eu un exemple récent qui m’a beaucoup frappé en Tunisie et en Tripolitaine. Toute la classe populaire maltaise et même italienne de la Tunisie est aujourd’hui complètement dans la main de M. Lavigerie ; il ne peut paraître dans une ville sans y être aussitôt porté en triomphe. À Tripoli, j’ai vu de même, au plus fort de la dernière crise, les Maltais et les Italiens se serrer autour de notre consul : pourquoi ? Mon Dieu ! c’est triste à dire, et j’en suis désolé pour les radicaux de la chambre, mais cette grande autorité de notre consul sur les populations chrétiennes vient uniquement de ce qu’il trône aux offices et de ce que le délégué apostolique l’encense pendant la messe en présence de tous les fidèles éblouis.

Il faut ignorer absolument l’histoire et ne rien savoir de l’Orient pour se méprendre sur le caractère de notre protectorat catholique. On se demande, en vérité, par quoi les partisans de la laïcisation de notre influence orientale prétendent remplacer les centaines d’écoles confessionnelles qui, sur tous les points de la Méditerranée, enseignent notre langue et répandent l’amour de notre pays. J’ai été stupéfait, j’en conviens, au moment où les journaux italiens nous accablaient des plus grandes invectives, d’entendre à Tripoli,