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conviction que, malgré les plus grandes secousses, les nations restent les mêmes à travers les siècles, conservent le même génie, gardent les mêmes intérêts, on aimait à regarder la révolution française, non comme le commencement d’une histoire nouvelle, mais comme le développement et, en quelque sorte, l’épanouissement de toute notre histoire. De nobles écrivains, d’admirables érudits, mettant leur science et leur génie au service de cette thèse patriotique, allaient rechercher jusque dans les premières assemblées des Francs les origines de nos institutions modernes. Qu’ils eussent tort ou raison, il n’en est pas moins vrai que cette manière de penser avait l’immense avantage de nous apprendre va connaître les élémens permanens de notre puissance nationale et de nous habituer à les respecter. Pour continuer, pour achever l’œuvre de la vieille monarchie, on l’étudiait avec soin : on se rendait compte de ce qu’elle avait fait, de ce qu’elle nous avait laissé à faire ; en remontant aux racines de la France, ou voyait sur quel terrain elles avaient poussé et, par conséquent, sur quel terrain elles pouvaient encore s’enfoncer plus profondément. On a changé tout cela. Des doctrines nouvelles, propagées partout à la faveur des progrès de l’enseignement primaire, apprennent à la jeunesse que la France est née en 1789, — d’autres disent en 1793, — que son histoire avant cette époque n’est qu’un tissu de crimes et d’abominations ; que, tout ce qui s’est fait jusque-là doit être défait ; que, plus la différence entre le passé et le présent sera grande, plus ce dernier sera glorieux. Ce n’est point sans danger qu’une nation antique s’imagine qu’elle vient à peine devoir le jour. Une pareille illusion lui fait perdre rapidement tout ce que les siècles lui ont légué de force et de puissance. Cette rupture violente de ses traditions enlève toute suite à sa politique. Ce dédain de l’expérience la rend légère, inconsidérée, incapable. Elle tombe alors dans toutes les faiblesses et dans toutes les ignorances d’un parvenu. Ce qu’elle gagne au jour le jour ne compense pas l’héritage qu’elle néglige, faute de le connaître. On se propose de donner à nos enfans une éducation civique et, pour commencer, on leur apprend à manier des fusils. Mais à quoi cela servira-t-il si on leur inculque du même coup des idées fausses qui ne leur permettront même pas de savoir, par le rôle qu’a joué leur pays, celui qu’il peut jouer encore ? qu’on leur enseigne ce que c’est que la France, d’où lui est venue sa place dans le monde, quels sont les droits que son histoire lui a assurés, si l’on veut qu’ils fassent un usage utile des armes dont on charge leurs mains.

Pour ne citer qu’un exemple, mais qui se rattache intimement à mon sujet, des dangers de cette ignorance, ou plutôt de ce dédain des œuvres du passé, n’a-t-on pas vu récemment encore, dans une