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sans trop savoir ce qu’elle faisait, l’abdication de la France en Europe et sur la Méditerranée. Peu de jours auparavant, elle avait paru entrevoir la nécessité de garantir l’honneur, de sauver le prestige de la France. Ce n’était qu’une apparence. Dans le redoutable problème qui se posait devant elle, on a dû s’avouer plus tard qu’elle n’avait vu qu’une occasion nouvelle de manifester ses sympathies ou ses antipathies pour telle ou telle personne. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle ne s’est rendu pas compte de la portée de son vote. Il a frappé le ministère de Freycinet, qui n’avait que trop mérité cet échec ; mais en même temps il a rendu impossible l’organisation de tout ministère de gouvernement. Aucun des chefs de la majorité n’a consenti à prendre le pouvoir tombé trop bas pour qu’il valût la peine d’être ramassé. Qu’en aurait-il fait ? Sous prétexte que la république est un régime de contrôle, on condamne les ministres à n’être que les commis de la chambre ; ils ne sauraient prendre la plus simple résolution sans son approbation immédiate ; l’initiative vient des députés, qui ont en outre la surveillance de l’exécution ; les ministres sont d’inertes instrumens dans la main qui les dirige. Dès lors, il n’y a plus de politique possible. Il faut être sans nul doute partisan du contrôle parlementaire, constitutionnel, exercé sur le pouvoir exécutif par les mandataires du pays, par les représentans du suffrage universel ; mais la délégation que le pays donne à ses représentans, ceux-ci la donnent à leur tour au pouvoir exécutif. Tout se réduit à une question de confiance et de responsabilité. Le parlement doit avoir confiance dans le ministère ; mais dès qu’il a confiance en lui, il doit aussi le laisser agir sous sa responsabilité. Sans quoi, comment veut-on qu’une puissance étrangère quelconque consente à négocier avec lui ? Comment veut-on qu’il y ait des alliances, des engagemens internationaux ? Ce n’est point à la tribune, ce n’est point au milieu des orages et des fluctuations parlementaires qu’on peut conduire une négociation diplomatique, profiter avec habileté des circonstances heureuses, écarter les dangers menaçans, montrer la persévérance nécessaire pour atteindre un but déterminé. Ces choses-là se font dans le cabinet d’un ministre, non au sein d’une assemblée turbulente.

Aux conditions que la chambre des députés met à l’exercice du pouvoir, aucun homme politique digne de ce nom ne consentira bientôt plus à s’en charger. Si, dès ses premiers pas, la chambre n’avait rencontré que des ministres tout disposés à obéir à ses caprices et à se soumettre aux variations de son humeur changeante, peut-être eût-elle compris que la fonction d’un gouvernement est la même sous n’importe quel régime et qu’on ne saurait l’abaisser outre mesure