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plus faciles, ils devinrent aussi plus dignes. Nous avions été obligés de faire des démonstrations de bonne volonté assez humiliantes du temps où l’on nous soupçonnait des pensées hostiles. Du moment que ces soupçons étaient effacés, rien ne nous empêchait de reprendre une attitude plus fière. Depuis le congrès de Berlin, il n’y a pas eu un seul froissement entre l’Allemagne et nous, quoique jamais nous n’ayons évité un conflit par une faiblesse. Cela tient certainement à la correction de notre politique qui, tout occupée en Orient, n’a commis aucune imprudence sur le continent ; mais cela tient aussi à notre union avec l’Angleterre. Cette union nous donnait une force incontestable. Isolés, nous ne pouvons qu’entrer en hostilité avec l’Allemagne ou qu’être à sa merci, comme les puissances qui gravitent autour de l’alliance des trois empires ; appuyés sur l’Angleterre, notre situation devenait différente, elle nous permettait d’être bien vus à Berlin sans nous y abaisser au rôle de subordonnés. Depuis le congrès de Berlin jusqu’à ces derniers temps, je le répète, aucune menace de guerre n’est venue nous troubler. Nous avons maintenu la paix avec dignité, nous l’aurions maintenue peut-être sans l’Angleterre ; mais, sans elle, l’aurions-nous maintenue avec dignité ?

On a beaucoup disserté sur le caractère de notre entente avec l’Angleterre, on a contesté que ce fût une alliance formelle : on a eu raison. Néanmoins, s’il n’y avait pas alliance, il y avait quelque chose, qu’on me passe le mot, qui y ressemblait de très près. On a dit au sénat : « L’alliance entre deux grands peuples, c’est un ensemble d’engagemens réciproques par lesquels ils s’obligent à consacrer toutes leurs forces sociales, politiques, militaires à la poursuite d’un grand but et d’un but déterminé. » On a rappelé ensuite qu’il y avait eu une alliance entre la France et l’Angleterre en 1831 pour la défense des principes constitutionnels menacés par la ligue des puissances du Nord ; qu’il y en avait eu une autre en Crimée pour la résistance aux ambitions de la Russie ; puis l’on a ajouté : « Dans l’état actuel de l’Europe, où est le grand but, le but déterminé que nous pouvons poursuivre avec l’Angleterre ? » La réponse est facile : ce but est en Orient ; il est tout aussi précis, tout aussi net que celui qui nous a fait entreprendre la guerre de Crimée. Pendant que d’autres puissances s’avançaient en Orient par la guerre et par la conquête, la France et l’Angleterre s’étaient unies pour y répandre, dans la mesure du possible, la paix et la liberté. En soutenant, comme elles s’y sont appliquées tout d’abord, les petites nationalités libérales, la Roumanie et la Grèce, elles faisaient contrepoids à l’envahissement des nationalités slaves, qui ne sont que les instrumens dociles d’un despotisme mal déguisé. Elles accomplissaient une œuvre