Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’époque, sont des pédans naïfs à qui la postérité ne paiera pas leurs frais de pédanterie : gardons-nous de les imiter. D’autre part, ces privilégiés qui se trouvent avoir fait des chefs-d’œuvre n’ont pas connu avant de mourir leur bonheur plus qu’humain ; d’autres, dont l’ouvrage n’a pas résisté au temps, ont goûté les mêmes joies qu’eux, et ces joies ne nous sont pas interdites. Bons ou mauvais auteurs livrent de même leurs ouvrages, et les meilleurs comme les pires, à leurs contemporains pour l’amusement de quelques heures : la postérité reconnaîtra les siens ! Elle rejettera, n’en doutez pas, tout ce qu’on lui aura marqué par avance ; elle méprisera les fleurs artificielles préparées pour durer toujours, et n’admettra dans ses parterres que les plus belles des fleurs vivantes qui auront poussé simplement, et sans connaître leur gloire future, dans le même terreau que les autres.

Ainsi les chroniqueurs, en replaçant pour nous dans le milieu où ils se sont produits des ouvrages que les critiques étudient surtout en eux-mêmes, les chroniqueurs nous donnent une leçon de modestie pour le présent, et de confiance, au moins, sinon d’assurance dans l’avenir : ils nous donnent cette leçon à mesure qu’ils nous communiquent une plus fine intelligence du passé, laquelle profite à toutes les œuvres dont la richesse de ce passé se compose. Ne peut-on, en effet, distribuer ces œuvres en trois classes : les excellentes des bons auteurs, qui sont les fleurs toujours fraîches dont nous parlions tout à l’heure ; les médiocres des mêmes, que la postérité conserve, mais seulement dans son herbier ; enfin celles des mauvais qui pourrissent dans l’oubli ? Les gazetiers raniment encore le parfum persistant des premières ; ils rendent aux secondes et même aux troisièmes une apparence de vie.

Le Misanthrope, assurément, durera toujours ; on le traite même volontiers comme s’il avait toujours existé. Cependant il fut représenté pour la première fois le 4 juin 1666. Est-ce un mal que Robinet et Subligny, par leurs lettres du 12 juin et du 17, nous en ravivent la nouveauté ? Nullement, et, bien au contraire, nous y voyons que le succès ne se fit pas attendre. « Toute la cour en dit du bien, » déclare Subligny, et pompeusement il ajoute :


Après le Mysantrope il ne faut plus voir rien.


Bobinet est plus simple et aussi plus sensé ;


Le Mysantrope enfin se joue ;
Je le vis dimanche et j’avoue
Que de Molière, son Autheur,
N’a rien fait de cette hauteur.


Robinet a l’esprit clair ; il marque d’un mot au passage, comme il est permis à un chroniqueur, le caractère du héros ; même il cache sous