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de ce qui se produirait à la mort de la reine, avaient essayé de s’assurer le concours de celui qui avait si glorieusement dirigé les destinées du pays. Harley et Bolingbroke, faisant amende honorable, lui promettaient monts et merveilles s’il voulait revenir à eux. Néanmoins il eut la mortification d’apprendre que son nom ne figurait pas dans le conseil de régence, composé de sept membres. S’il fut blessé, il n’en laissa rien paraître et se retira immédiatement dans sa terre de Holywell, aussitôt après avoir prêté serment au roi. Six semaines plus tard, George Ier arrivait dans son royaume et Marlborough fêté, entouré, traité en martyr des criminels du dernier règne, recevait du roi l’ordre de reprendre toutes ses charges à la cour, à l’armée, au conseil privé. Ses gendres et ses filles étaient tous nommés à des emplois importans. Mais son grand rôle politique était fini ; celui de puissant châtelain commençait, avec ses plaisirs calmes, ses occupations saines, son entourage d’amis choisis et de famille nombreuse.


VI.

Le héros de tant de champs de bataille prenait plaisir à faire jouer par ses petits-enfans des drames et des comédies composés par des amis et dont les exploits du grand-père, aussi bien que les succès de la grand’mère, fournissaient souvent le fond. L’infatigable activité de lady Marlborough trouvait un aliment dans l’administration de l’immense fortune dont on leur a fait un crime, fort injustement selon nous. Swift s’est servi contre eux d’argumens qui nous paraissent les innocenter d’une manière absolue. « Les langues et les plumes, écrivait-il dans l’Examiner, s’exercent depuis six mois à prouver la bassesse, l’inconstance et l’ingratitude du pays envers le duc de Marlborough ; il est facile de prouver le contraire ; » et il énumère les dons nationaux qui se montent, d’après son calcul, à environ 15,000,000 de francs. Si cependant il a plu à l’Angleterre de récompenser ainsi les services immenses rendus par son illustre général, pourquoi s’étonner, se scandaliser de sa richesse ? à quel propos l’aurait-il refusée ? Appelé à jouer un rôle presque souverain, à représenter sous un double aspect son pays, avec le faste de l’époque, pouvait-il faire le Cincinnatus ? Entré dans la vie sans patrimoine, marié jeune et promptement chargé de famille, exempt des vices à la mode, l’ivresse et le jeu, Marlborough avait toujours eu des habitudes d’ordre et de régularité. Il en conserva même l’innocente manie de faire des économies sur des niaiseries, tout en dépensant des millions au besoin.