Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Bolingbroke s’assureront son concours et le célèbre Examiner (1710-1711) commença contre le ministère et ses amis cette guerre Acharnée, déloyale, dans laquelle il devait gagner la victoire. « Il s’agissait, a écrit la duchesse, de répandre partout les plus viles calomnies ; il fallait pour cela des ouvriers de bas étage, dont la conscience fût prostituée, dont le visage ne pût rougir. On ne fut pas long à les trouver quand on put leur montrer d’où viendrait le salaire. MM. Swift et Prior s’offrirent promptement ; le premier avait ridiculisé la religion par le Conte du Tonneau et trouvé fort mauvais qu’on ne lui offrît pas un évêché pour prix de cette drôlerie profane. L’autre écrivait au duc de Marlborough, en 1709, qu’il mettait sa vie dans ses mains, le priant de disposer de lui comme il voudrait, « car il lui devait tout, » suppliant qu’on lui permît de se jeter aux pieds de la duchesse, qu’il avait toujours estimée comme la meilleure des femmes et pour laquelle il donnerait sa vie ; et aussitôt que le feu fut ouvert contre ceux qu’il avait courtisés si humblement, il se joignit aux assaillans. Mais qu’attendre d’un homme élevé dans une taverne et dont l’âme était à la hauteur de son éducation ? »

Lady Marlborough devait bientôt s’apercevoir que les défections ne s’arrêteraient pas là. On sentait que le jour où sa disgrâce et celle de son mari seraient déclarées, il y aurait une grosse proie à partager ; les ambitions, les avidités étaient à l’affût. ; Harley savait les encourager, les surexciter, manœuvrer, selon l’expression de la duchesse, la « corruption du cœur humain. » Il montrait aux plus grands, aux Somerset, aux Argyll, aux Rivers, aux Peterborough, aux Shrewsbury, et non-seulement à eux, mais à leurs femmes, toutes les places qu’il y aurait à prendre, et peu à peu la cour de Mme Masham grossissait. La duchesse raconte, à ce propos, une scène qui se joua entre elle et le duc de Shrewsbury, dont la femme voulait être dame de la chambre. « Le duc vint me voir pour tâcher de découvrir ce qu’il en était bien réellement avant de se compromettre. Il prit un air de grande amitié, remplit sa conversation des mots respect, vénération et autres, s’étendit sur le malentendu entre la reine et moi : il en était désolé ! Ne serait-il pas possible de recouvrer la faveur de Sa Majesté et de me réconcilier avec elle ? Je lui dis avec ma franchise habituelle, très dangereuse en face de si forts politiques, que c’était absolument impossible désormais, vu l’influence de Masham et de ceux qui se cachaient derrière le rideau. Je lui citai ce vers de Dryden :

L’offensé peut pardonner, l’offenseur jamais.