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reconnaisse ses vrais amis avant de souffrir de son aveuglement. En écrivant à Mme Morley comme à une amie, il était impossible à Mme Freeman de dire un seul mot qu’elle ne pensât pas, et elle partait de là pour lui demander où elle voulait en venir, s’il lui plairait un jour de renoncer à la couronne ; pourquoi tous ces efforts pour former un parti insignifiant qui entreprenait de porter au pinacle cette femme qui mériterait d’en être précipitée en quinze jours, avec infamie. » C’était pousser la sincérité un jeu loin. La duchesse se montre plus à sa gloire dans certaines épîtres où elle fait appel à des sentimens d’un ordre plus élevé et traite des intérêts de l’état avec une supériorité qui explique son importance aux yeux des hommes les plus considérables de son parti. L’évêque de Chichester lui disait après sa disgrâce, en la remerciant d’une lettre : « Il brille dans la lettre que Votre Grâce m’a fait l’honneur de m’adresser une telle pénétration et une telle connaissance des affaires, tant de sincérité, un si vrai sentiment de la liberté et du bien public que je peux sincèrement dire n’avoir jamais rien lu avec plus de plaisir… Qu’une femme élevée dans une cour corrompue et arbitraire, devenue favorite absolue d’une autre cour, exposée à tant de flatteries et de tentations de toute nature, soit restée, malgré l’indigne traitement subi par elle et ses amis, si fermement fidèle à ses principes, voilà qui est vraiment extraordinaire et m’inspire plus d’admiration et d’estime que je ne puis dire. Vous étiez née pour être le bon génie de la reine, dont les affaires sont ruinées aujourd’hui par l’absence de ses plus fidèles serviteurs. »

Malheureusement, la duchesse ne savait pas avoir raison avec calme et adresse ; bien armée pour le combat, elle attaquait loyalement ou se défendait sans jamais reculer, ignorant de parti-pris les attermoiemens, les essais de conciliation, les ruses habiles, laissant voir son dédain aux imbéciles et son mépris aux coquins : c’était mettre trop de monde contre elle. Horace Walpole, plus fin, on pourrait dire plus perfide, a défini sa carrière : soixante années d’arrogance. Il y eut plus et mieux, mais il y eut trop de cette tendance, surexcitée, d’abord par une élévation quasi royale, et plus tard par une lutte acharnée contre des adversaires sans scrupules. Ce même évêque de Chichester, ancien chapelain du duc, resta toujours dévoué à la duchesse ; il lui adressait un jour, au sujet d’un différend avec Robert Walpole, des remontrances fort honorables pour celui qui les faisait et celle qui savait les accepter. Après avoir discuté les faits et rendu justice aux éminentes qualités de la duchesse, il ajoutait : « Mais je souffre de voir des taches à une si belle nature. Des soupçons mal fondés, des colères violentes, une liberté sans limites dans l’expression de vos ressentimens,