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duchesse. Pendant quelque temps elle se retira sous sa tente, c’est-à-dire à Windsor, où elle avait une résidence comme administrateur du domaine. C’était laisser le champ libre à ses adversaires. Ses amis commençaient à s’en effrayer et la suppliaient de se sacrifier encore pour son parti. Lady Cowper, femme de l’illustre chancelier et qui a laissé un journal fort intéressant, lui écrivait : « Je suis, comme tous nos amis, très inquiète de votre séjour prolongé à Windsor. On regrette extrêmement l’absence d’un si bon avocat près de la reine, quand notre salut dépend des bons avis qu’elle peut recevoir, et l’on sait que Votre Grâce a toujours été l’appui des bons principes. Je vous en prie, quittez votre agréable retraite et venez, maintenant que le bien public vous réclame, confondre vos ennemis et leur prouver que nous devons notre sécurité, au dedans comme au dehors, au duc de Marlborough. »

Le prince de Danemark lestait favorable à la duchesse ; il désapprouvait les intrigues d’antichambre et les longs entretiens nocturnes avec les favoris. Des circonstances imprévues rendirent de l’espoir au ministère, aux whigs et à lady Marlborough. On apprit que la France préparait une descente en Écosse en faveur du prétendant et l’on découvrit en même temps la correspondance secrète d’un commis de Harley avec les agens de Louis XIV. La reine voulait bien que son frère lui succédât, mais non pas qu’il se mît à sa place. Elle consentit à éloigner Harley, bien qu’elle crût à son innocence, déclara en plein parlement que les whigs étaient ses vrais appuis, et elle écrivit à Marlborough la lettre la plus affectueuse, signée :« Votre humble servante, » en lui offrant la présidence du conseil. Il refusa, disant qu’il lui suffisait de servir sa royale maîtresse dans l’armée. La bonne intelligence dura aussi longtemps que la frayeur de sa majesté ; mais aussitôt rassurée, elle reprit ses relations avec Harley, dont la conversation amusante lui était devenue indispensable. « Pour jouir secrètement de ce bavardage, disait la duchesse indignée, elle passa toute la saison d’été, le pauvre prince pouvant à peine respirer, dans sa petite maison de Windsor, chaude comme un four, mais déclarée fraîche, parce que Mme Masham pouvait faire arriver du parc dans le jardin les personnes qui lui plaisaient, sans qu’on les vît. »

Anne s’enhardissait, elle devenait sèche et dure envers lady Marlborongh, répondant à peine à ses lettres, lui refusant des audiences, et recevant d’elle d’énergiques remontrances qui restaient sans effet. Il est vrai que le ton n’en était pas de nature à pacifier la royale révoltée. « Je sais, lui écrivait-elle, que les intentions de Mme Morley sont bonnes, mais rien ne lui agrée que les artifices de gens dont on connaît les talens en ce genre ; je souhaite de tout cœur qu’elle