Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envieux durent se taire, « si visiblement déconfits, disait la duchesse, qu’on aurait cru avoir battu eux et l’église, et non la France. » L’empereur d’Allemagne créa Marlborough prince de Mindelheim. À son retour en Angleterre, ce ne furent que processions, banquets, discours en son honneur ; la chambre des communes présenta une adresse à la reine, lui demandant une récompense extraordinaire pour celui qui venait de « relever la gloire des armes anglaises et d’affranchir l’Europe. » La reine proposa de lui céder le domaine royal de Woodstock, l’ancien palais des Plantagenets, la retraite d’Henri II et de la belle Rosamonde, la demeure d’Elisabeth dans sa triste jeunesse, et d’y élever un autre palais aux frais de la nation, en changeant le nom de Woodstock en celui de Blenheim : le bill fut voté avec enthousiasme. Au milieu de cette effervescence, le plus calme était celui qui venait de la soulever.

Marlborough rentrait en Angleterre épuisé de fatigue, souffrant beaucoup de douleurs cérébrales, et ne désirant que le repos du home. Jamais la duchesse ne lui avait été plus chère ; après l’avoir laissé partir sous l’impression de dissentimens assez vifs, elle avait eu des remords et lui avait offert de le rejoindre pour partager ses travaux et ses dangers. On a de lui une lettre charmante en réponse à cette offre. « Votre lettre du 15 avril m’arrive à la minute, après avoir été par erreur envoyée à Amsterdam ; je ne voudrais pour rien qu’elle eût été perdue ; elle est si bonne, que je souhaiterais en retour avoir mille vies à perdre pour vous rendre heureuse. Avant d’écrire j’ai brûlé l’avant-dernière (la duchesse avait exigé sa parole qu’il détruirait toutes ses lettres), mais si vous voulez me permettre de garder cette chère lettre, je serais heureux de la relire souvent et de penser qu’on la retrouvera après ma mort. Je vous aime en ce moment plus que jamais ; vous m’avez rendu si heureux, que je voudrais avoir le droit de me retirer. » Après Blenheim, sans descendre de son cheval, où il était depuis seize heures, il déchirait une feuille de son carnet et écrivait au crayon pour la duchesse les lignes suivantes : « Je n’ai que le temps de présenter par votre bouche mes devoirs à la reine. Dites-lui que son armée a remporté une glorieuse victoire. Le maréchal Tallard et les autres généraux sont dans ma voiture et je poursuis le reste. » Hélas ! Tallard était le chef de l’armée française et la France perdait quarante mille hommes !


IV.

La victoire de Blenheim et quelques mesures maladroites des tories assurèrent pendant quelque temps le triomphe des whigs. La