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retenue par son service), ils m’aiment tant, qu’ils sont toujours près de moi, me caressant et m’embrassant. Leurs petites rougeurs sont passées, et quand vous arriverez, ils seront en beauté. Miss, (l’aînée de ses filles) me tire par le bras et veut écrire à chère maman. » Et le général guidait la main de l’enfant pour lui faire écrire : « Je vous baise les mains, ma chère maman. — HARRIET. » Ni le Temps, ni les longues absences, ni les travaux écrasans, ni l’enivrement des triomphes, rien ne put détourner ce cœur aimant et fidèle. Au camp, à cheval, après une bataille, partout il lui envoyait la preuve du plus tendre souvenir : « Mon cœur et mon âme sont avec vous. Soyez bonne pour moi et je suis sûr d’être heureux. » Ces expressions et bien d’autres de même nature se trouvent constamment sous sa plume. Il lui écrivait après Ramillies : « Croyez-moi quand je vous assure que je vous aime plus que ma gloire. » Et avant Malplaquet : « Vos ennuis me préoccupent plus que le sort de l’Europe qui va se jouer. »

À l’époque où nous sommes arrivés, lady Marlborough avait quarante-trois ans, mais sa beauté brillait encore de tout son éclat. On sait par ses contemporains qu’elle la conserva bien au-delà des limites ordinaires. Lady Mary Wortley Montague disait qu’à un âge très avancé, elle avait encore des restes de beauté très remarquables, les yeux les plus expressifs, et cette merveilleuse chevelure au sujet de laquelle elle contait volontiers l’anecdote suivante : « Marlborough ne se lassait pas d’admirer ces belles boucles blondes. Un jour qu’il s’était probablement permis de trop discuter la volonté souveraine de sa dame et maîtresse, celle-ci, fort irritée, cherchait le moyen de le bien punir ; tout à coup elle imagina de couper ces boucles dont il était si fier et de les déposer dans l’antichambre, par laquelle il devait forcément passer pour entrer chez lui. À son terrible désappointement, elle le vit passer et repasser, ne disant rien, ne laissant paraître ni colère ni chagrin, semblant ignorer son crime et son châtiment ; elle en conclut qu’il n’avait pas vu les cheveux et courut pour les reprendre : ils avaient disparu ! Grande fut sa perplexité, et, le lendemain, devant son miroir, elle se prit à penser qu’elle avait commis une absurdité. Il ne fut jamais question de rien, mais à la mort du duc, elle retrouva ses boucles, soigneusement conservées, dans un petit meuble où il serrait ce qu’il avait de plus précieux. » Arrivée là, ajoute lady W. Montague, elle se mettait presque toujours à pleurer.

Cette humeur égale et douce n’abandonnait jamais le duc ; il était si parfaitement maître de lui en toute circonstance, que la duchesse fut, dit-elle, très étonnée de le voir jeter au feu la lettre dans laquelle la reine, lors de sa disgrâce, lui envoya sa démission. Surpris à cheval,