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et les défaillances de ses nouveaux sujets. Il avait pu reconnaître la valeur de Churchill sur les champs de bataille, en Flandre et en Irlande, et sa modération sage dans les conseils ; il se décida, en 1697, après la paix de Ryswick, à le rappeler près de lui, à lui rendre toutes ses charges et à le nommer gouverneur du petit duc de Glocester, alors âgé de dix ans : « Apprenez-lui à vous ressembler, mylord, lui dit-il ; et mon neveu ne pourra manquer d’être accompli. » Marlborough fut conquis, mais rien ne put désarmer le ressentiment de sa femme contre celui qui l’avait humiliée et qui continuait à traiter sa chère maîtresse avec fort peu de respect. Son ennemi ne devait plus occuper longtemps le trône d’Angleterre ; malade, désolé de la mort du duc de Glocester, qui succomba à onze ans, Guillaume mourut d’une chute de cheval, vers la fin de 1702, après avoir fait passer par acte du parlement l’ordre de succession dans la maison de Hanovre, signé le nouveau traité d’alliance contre la France, et nommé Marlborough général en chef et ambassadeur près des Provinces-Unies.


III.

Avec l’avènement de la reine Anne, commence la période à la fois triomphante et douloureuse de la vie des Churchill. Tout le poids des affaires retombait sur Marlborough. Agé de cinquante-trois ans, dans la plénitude de sa vigueur, de son activité, de ses talens, il se voua tout entier au service de son pays et poursuivit l’œuvre commencée par Guillaume d’Orange avec un courage et une habileté qui ne devaient le préserver ni de l’ingratitude, ni des dégoûts. Lady Marlborough, de son côté, comprit très bien la tâche qui incombait à l’Angleterre, la lutte vitale à soutenir contre la France, comme elle avait compris les causes et la nécessité de la révolution de 1688. Mais ce moment, qui semblait assurer son pouvoir et faire d’elle la véritable souveraine, fut celui où commença sourdement sa lutte avec la reine, d’où elle devait sortir brisée. Depuis la mort de son dernier enfant, Anne avait senti se réveiller le remords de sa conduite passée envers son père, et, celui-ci mort à son tour, elle avait reporté sa tendresse cachée sur son jeune frère le prétendant. Ses sympathies appartenaient donc naturellement aux tories, qui, en grande partie, demeuraient fidèles au petit prince exilé. Les whigs n’étaient pas sans inquiétudes, malgré l’acte de succession, et lady Marlborough devenait leur espoir, leur soutien. Elle n’était pas femme à reculer, mais aussi la reine était une vraie Stuart, jalouse de sa