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régions, il y a beaucoup de bien à en dire et aussi des réserves assez sérieuses à faire. Rarement le capital appliqué à l’amélioration des terres a opéré avec plus de puissance, de lumières et d’ensemble. Peu d’agriculteurs ont égalé de nos jours M. Decrombecque, près de Lens. La grande association des Wattringues, qui a pu arracher au marécage une notable partie du sol, a été formée par de grands propriétaires, bien que l’œuvre n’ait laissé en dehors d’elle aucune catégorie de la propriété. Si nous cherchions une preuve de ce que peut la puissance de l’initiative transportée du commerce à l’agriculture, nous citerions l’exemple d’un ancien négociant, M. Vandercolme, dans l’arrondissement de Dunkerque, un des promoteurs les plus énergiques et les plus habiles de cette œuvre des Wattringues[1]. L’énorme augmentation de la production agricole dans les régions picardes, artésiennes et flamandes doit trop au capital pour ne pas devoir beaucoup aux grands propriétaires. On ne peut oublier que bon nombre de ces propriétaires sont d’anciens industriels ; or l’industrie communique l’esprit de progrès, et ses procédés mènent facilement à la culture intensive. Il y a pourtant plus d’un reproche à adresser aux grands propriétaires. Le premier est de n’exploiter qu’assez rarement eux-mêmes leurs domaines. Ce reproche n’est que trop fondé, mais il ne faudrait pas en abuser, comme on le fait peut-être trop souvent. Tous ceux qui possèdent une terre étendue n’ont pas les qualités spéciales, moins communes qu’on ne croit, qui font l’excellent agriculteur. Plus aptes à rendre des services à la société sous d’autres formes, ils font bien de s’en remettre à des fermiers dont toute l’éducation a été dirigée vers l’exploitation de la terre. Leur tort est parfois de la confier à des régisseurs qui ne les représentent pas toujours bien et qui pèsent trop sur les fermiers eux-mêmes. Un propriétaire, sans exploiter directement, a un rôle utile à jouer. Il peut agir sur le développement de la culture en y consacrant plus ou moins de capital, en favorisant au lieu de les décourager les efforts du fermier ; il peut vivre plus ou moins à la campagne, s’occuper du pays, ou y résider comme un hôte de passage ; il n’y a rien de commun entre ce qu’on nomme la vie de château et ce contact efficace et fécond avec les populations rurales qui caractérise l’aristocratie anglaise. On va voir aussi que nos grands propriétaires de ces régions ne résolvent pas aussi bien que possible les questions de baux et de fermages. Mais voici une critique qu’il m’est impossible d’épargner à la grande propriété. C’est d’abdiquer, de se détruire elle-même pour ainsi dire. Nulle part autant que dans ces contrées elle ne se dépèce par des ventes. Nulle part elle ne montre une égale tendance à se

  1. Sur cette œuvre, sur les grandes fermes, et en général sur l’état agricole de la Flandre, on consultera surtout avec profit le beau travail de M. Barral (2 vol. in-8o), intitulé : l’Agriculture en Flandre.