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garde une certaine importance, c’est que chacune d’elles remplisse sa tâche intelligemment, c’est qu’elle s’en acquitte selon les obligations qui lui appartiennent, car chaque mode de propriété a pour ainsi dire ses devoirs d’état.

C’est un éloge qu’on ne peut refuser aux petits propriétaires de ces régions du Nord et du Nord-Ouest : à eux se rattache cette classe des ménagers, qui en désigne la partie la moins aisée. La classe des petits propriétaires est celle qui, d’un aveu unanime, a le mieux supporté la crise agricole. Elle se compose de gens habitués à une stricte économie, dont l’acquisition même de leur petite terre est la preuve. Ouvriers d’Amiens, de Lille, de Roubaix, etc., ou simples travailleurs ruraux, ils ont cherché là un placement pour leurs épargnes, un nid pour leur famille, et la possession de la terre les a rendus encore plus économes. On a dit jusqu’où va l’acharnement au travail du petit propriétaire. Je ne sais si on peut exprimer pour ces provinces le degré où il sait pousser la privation lorsque l’agriculture souffre. Sans se priver ordinairement du nécessaire, la plupart de ces petits propriétaires se retranchent tout superflu. C’est merveille de voir avec quelle force de résolution, en face de circonstances exceptionnelles, le petit cultivateur picard ou flamand proportionne ses dépenses à sa situation, déterminé qu’il est à ne vendre son bien et à ne déplacer ses épargnes que sous le coup de la plus impérieuse nécessité. Ce petit cultivateur a, en outre, cet autre avantage économique considérable de n’avoir à supporter ni les frais du fermage, ni la main-d’œuvre, dont il se charge lui et sa famille. Propriété, capital, entreprise, travail manuel, il réunit tout, et son modique revenu cumule à la fois rente, profits, bénéfices et salaires. Cette faculté de résistance aux crises, qui ébranlent la grande propriété et ruinent plus d’une fois la moyenne, est un des faits les plus dignes de remarque, et dont l’importance est, pour ainsi dire, incalculable, puisqu’elle se multiplie par le nombre de ces détenteurs du sol qui forment la grande majorité.

Ce n’est plus au nom de certains excès de morcellement qu’on prétendrait porter atteinte à ce régime longtemps tenu pour suspect, aujourd’hui accepté par presque tous, et de plus en plus populaire dans la masse. Ce n’est pas que ces cas, où l’état parcellaire paraît vraiment excessif, manquent dans le nord et le nord-ouest de la France, ni qu’on les y regarde avec indifférence. On peut recueillir dans ces régions mêmes des vœux qu’accompagne l’énoncé d’un certain nombre de remèdes. Pourquoi, dit-on, par exemple, opposer des obstacles aux partages anticipés, assimilés aux donations entre époux, lesquelles sont révocables ? Pourquoi ces partages, qui ne sont grevés que de 1 pour 100, entraînent-ils un droit de transcription s’élevant à 1 fr. 50 ? Pourquoi maintient-on la disposition légale qui veut