Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est l’Angleterre qui est maîtresse du terrain, qui est l’arbitre de toutes les combinaisons. L’Angleterre accepte, si l’on veut, l’intervention turque ; mais elle exige que le sultan commence par proclamer rebelle le chef de l’armée égyptienne, Arabi, et elle entend que les troupes ottomanes soient placées dans des conditions telles qu’elles ne puissent embarrasser en rien les opérations de l’armée anglaise. Elle ne se refuse pas au protectorat européen dans l’isthme, mais elle fait ses conditions, elle met des limites, elle réserve sa liberté et ses droits. En un mot, c’est l’Angleterre qui a pris désormais la direction des affaires et elle entend nécessairement que tout se subordonne à son action. Est-ce à dire que, par son initiative, par ce déploiement de puissance, elle se sépare absolument des autres cabinets et elle menace les intérêts européens ? Elle fait seule ce qu’elle aurait pu faire avec la France ; elle agit dans son indépendance, pour la sauvegarde de ses intérêts, mais sans mettre réellement en péril les intérêts ou les droits de l’Europe, — et puisque la guerre est engagée, c’est à la guerre d’abord de trancher la question. Pour le moment, la diplomatie n’a plus rien à faire, et il est assez naturel que la conférence de Constantinople suspende ses réunions. Ce n’est qu’après la campagne, quand il s’agira de décider de la situation définitive de l’Egypte, ce n’est qu’alors que la diplomatie reprendra ses droits, et que l’Angleterre même victorieuse aura nécessairement à compter avec l’Europe.

Si dans ce mouvement européen qui s’étend de l’occident à l’orient, qui se déplace sans cesse, il y a aujourd’hui une chose sensible et caractéristique, c’est la confusion des politiques, l’incertitude de toutes les relations. Sans doute, à travers tout, il peut y avoir quelques points fixes, quelque apparence d’accord permanent entre des cabinets. Il y a, si l’on veut, cette intimité qui s’est renouée entre l’Allemagne et l’Autriche, qui n’a cessé d’être visible depuis le congrès de Berlin dans les affaires de l’Orient et qui l’est encore dans la conférence de Constantinople aussi bien que dans l’entrevue récente de l’empereur Guillaume avec l’empereur François-Joseph. L’amitié des deux grands adversaires des champs de bataille de Bohême est-elle destinée à durer, à s’affermir à la faveur des circonstances nouvelles ? Est-elle si bien fondée qu’elle puisse résister à toutes les épreuves ? Elle existe, et, on n’en peut disconvenir, elle est une force, une garantie défensive au centre du continent. C’est pour le moment ce qui ressemble le plus à un essai de système fédératif en Europe. En dehors de cette alliance pratiquée depuis les dernières années avec quelque suite, tout le reste est variable et confus sur le continent. La Russie d’ailleurs, paralysée par ses affaires intérieures, n’a plus ses vieux rapports avec Berlin et Vienne ; elle n’est plus qu’une alliée intermittente et douteuse, embarrassée dans sa politique, tantôt ramenée par ses traditions, par ses ambitions vers l’Orient, où elle rencontre