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exactions, concussions et dilapidations du trésor national, d’une somme de 107,819,033 livres. Douze ans plus tard, en 1806, après un long et laborieux examen des archives de la ferme, les commissaires de la comptabilité, par un arrêt rendu dans les formes, déchargeaient la succession des condamnés et, déclarant la ferme générale en avance avec le trésor d’une somme de 8,037,062 livres, reconnaissaient ainsi pour créanciers de l’état ceux que Robespierre en avait fait guillotiner comme les débiteurs. C’est dans son second volume que M. Delahante raconte l’histoire de cette liquidation. Il a raison de s’en prévaloir. Les débuts en sont instructifs : la conclusion en est éloquente. Ceux-là seuls le contesteront qui croient l’avenir de la démocratie, comme ils disent, étroitement lié par quelque fatalité d’origine à l’ignorance délibérée de l’histoire et à la haine aveugle du passe.

Nous avons assez de confiance dans la solidité du livre de M. Delahante pour ne pas craindre d’en rapprocher le livre de MM. Lucien Perey et Gaston Maugras sur la Jeunesse de Mme d’Épinay[1]. C’est comme ils préparaient l’excellente édition des Lettres de l’abbé Galiani, dont nous avons rendu compte ici même, l’an dernier, presque à pareille époque[2], que MM. Lucien Perey et Gaston Maugras se sont attachés « d’une affection toute particulière à sa fidèle correspondante ; » et la bonne pensée leur est venue de faire pour l’aimable femme ce qu’ils avaient fait avec tant de dévoûment déjà pour le Machiavellino des salons du XVIIIe siècle. La fortune les a bien servis : je devrais dire plutôt leur persévérance. Car s’ils ont eu la chance de retrouver aux Archives un manuscrit des Mémoires de Mme d’Épinay, c’est qu’il y était, probablement, et tout le monde l’y pouvait consulter, mais il fallait savoir qu’il y était, ce que beaucoup de gens ignoraient, à ce qu’il semble, et M. Paul Boiteau lui-même, le dernier éditeur des Mémoires. On n’ignore pas que, dans ces Mémoires, où les noms eux-mêmes dés personnes sont déguisés, le roman se mêle souvent à la réalité. L’obligeance d’un descendant de Mme d’Épinay, qui s’est empressé de mettre à la disposition de MM. Lucien Perey et Gaston Maugras tout ce qu’il possédait encore de lettres ou de papiers de son arrière-grand’mère, leur a permis de contrôler les récits des Mémoires et de contredire ou de confirmer par les pièces authentiques le témoignage de Mme d’Épinay. La connaissance qu’ils ont du XVIIIe siècle leur rendait la tâche facile. Quand ils auront rempli leur promesse et raconté la Vieillesse de Mme d’Epinay, c’est tout un petit monde, — charmant et haïssable à la fois, — qu’ils auront fait revivre. On leur saura gré surtout de la

  1. Une Femme du monde au XVIIIe siècle, La Jeunesse de Mme d’Épinay, d’après des documens inédits, par MM. Lucien Perey et Gaston Maugras, 1 vol. in-8o ; Paris, 1882 ; Calmann Lévy.
  2. Voyez la Revue du 15 juin 1881.