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tout ni toujours nos plus sages conseillers. Ici, du moins, ou nous nous trompons fort, ou M. Delahante n’aura pas à se repentir d’avoir écouté les juges qui l’assuraient que ses papiers de famille « étaient de nature à intéresser tous ceux qui se plaisent particulièrement aux études sur le XVIIIe siècle, » et nous, pour y venir un peu tard, beaucoup plus tard que nous ne l’eussions voulu, nous ne serons que plus vif à le remercier de les en avoir crus. Si l’ouvrage n’a pas cette sévérité de composition que personne au surplus n’a jamais exigée de l’histoire intime, — dont les lois ne sont pas plus celles de la grande histoire que celles de l’épopée ne sont les lois du roman, — il a la vie, ce qui n’est déjà pas si fréquent, et il a le charme, ce qui est plus rare encore. Il en faut recommander tout particulièrement la lecture à ces rédacteurs jurés de Manuels d’instruction civique, dont la haine pour l’ancien régime n’a d’égale que l’ignorance où ils sont du passé de la France. Ils y apprendront comment, vers 1694, le fils d’un humble chirurgien de village « entrait en campagne » avec 220 livres que lui prêtait un brave homme de curé, son frère ; et comment son fils, à quelque cinquante ans de distance, uniquement aidé du travail et de l’économie, sans autres protections que celles que l’on se fait par la qualité de ses services, pouvait mourir dans le lit d’un fermier général. Ils y verront aussi que tous les fermiers-généraux n’étaient pas des Mondor ou des Turcaret et que conclure du faste insolent d’un La Popelinière ou d’un Bouret à l’improbité de tous les financiers, ce serait comme si l’on concluait des incartades historiques de M. Paul Bert, par exemple, au fanatisme de tous les savans.

On demandera là-dessus d’où vient donc, sous l’ancien régime, l’impopularité des fermiers-généraux, et cet universel décri dont les plus graves historiens se font encore quelquefois l’écho. C’est ce que M. Delahante explique admirablement en deux chapitres, — l’un sur la Ferme générale et l’autre sur les Impôts, — qui sont bien, non pas la plus complète ni la plus détaillée, mais la plus lucide exposition qu’il y ait de cette matière compliquée. Tant il est vrai que pour parler des choses, s’il ne peut pas nuire assurément de les connaître par principes, il n’est rien tel cependant que de les tenir de tradition et de les avoir en quelque sorte vécues ! Il faut d’abord distinguer les fermiers-généraux d’avec « de nombreux financiers qui, en l’absence de tout crédit public, jouaient de la dette flottante et profitaient des embarras du trésor pour faire avec l’état des contrats très onéreux et partant très dangereux. » Or c’étaient là ceux dont l’extravagant étalage irritait d’autant plus l’opinion que la misère publique était évidemment l’opulente matière de leurs plus belles spéculations. L’histoire ne doit pas plus les confondre avec les fermiers-généraux que nous ne faisons de nos jours les receveurs-généraux avec les