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un fait précisément comme on l’a vu, sans y rien ajouter ou diminuer, disait Fontanelle, que tout homme qui prétend à cet égard qu’il ne s’est jamais surpris en mensonge est un menteur. » Tel est bien le cas de la plupart des témoins que l’on appelle oculaires, auteurs de Mémoires ou de Correspondances, et qu’ils aient ou non de l’imagination, car s’ils en ont, ils voient trop loin ? s’ils n’en ont pas, ils voient trop court. Mais quand ce sont les acteurs eux-mêmes, qui se racontent, eux et les leurs, à la postérité, pourquoi se raconteraient-ils, n’étaient les excellens motifs qu’ils ont d’ajouter à la vérité ou d’en diminuer quelque chose ? Ni le prince ni le philosophe ne s’y sont épargnés, non plus qu’aucun des subalternes qui recevaient d’eux le mot d’ordre.

Ce qui semble assez heureusement caractériser, depuis déjà quelques années, un grand nombre des publications relatives au XVIIIe siècle, et quelques-unes tout particulièrement de celles que nous voudrions signaler au lecteur, c’est un généreux effort pour secouer cette tradition, presque séculaire bientôt, d’erreur et de mensonge. Le vrai XVIIIe siècle se dégage peu à peu des régions troublées de la polémique pour entrer insensiblement dans les régions plus sereines de l’histoire. Je doute que l’on osât aujourd’hui, — pour fixer les idées par un titre et sur un nom, — proposer comme un livre d’histoire le violent pamphlet de Lanfrey : l’Église et les Philosophes au XVIIIe siècle ; mais je doute encore bien plus que l’on affectât cette ambition prématurée de porter une sentence unique sur toute l’histoire d’un siècle dont tant de parties nous demeurent obscures ou ignorées. Il n’y a pas d’ardeur de polémique qui tienne contre la nécessité de compulser quelques milliers de volumes, — si j’exagère, ce n’est pas, de beaucoup, — avant que de se sentir en droit de formuler une opinion raisonnée ; il n’y a pas de fureur de généraliser qui ne s’apaise et ne finisse tout doucement par tomber quand, pendant des mois ou des années même, elle s’est heurtée vainement aux difficultés que soulève quelquefois la vérification d’un fait ou la simple détermination d’une date, à plus forte raison l’appréciation des actes. Et comme ces sortes de difficultés se multiplient en raison de l’abondance et de la diversité des documens, il suit de là cette conséquence toute naturelle, quoique au premier abord assez inattendue, que les exigences mêmes de la méthode, en imposant à l’historien l’extrême patience et l’extrême prudence, lui imposent du même coup une espèce d’impartialité. Tel s’arrangeait autrefois de ce que le grand Frédéric avait bien voulu nous livrer de lui-même dans l’Histoire de mon temps, qui ne saurait se dispenser aujourd’hui de confronter le texte de l’habile arrangeur avec les textes moins apprêtés, mais plus instructifs, de cette Correspondance politique, dont les archives de Berlin nous ont déjà livré sept volumes », et cette Correspondance politique elle-même avec ce que