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poussèrent au milieu de la forêt de piques les animaux qui obéissaient docilement à leur voix ; et la trouée déjà toute béante s’élargit encore pour laisser passer la vague. Le plateau de Mont-Saint-Jean a vu nos cuirassiers pénétrer ainsi au milieu des carrés anglais : on sait le ravage qu’ils y firent. Les éléphans foulent aux pieds ou fauchent de leur trompe tout ce qui les entoure, le désordre et l’effroi ont bientôt gagné jusqu’aux derniers rangs ; l’infanterie macédonienne peu à peu se dissout. À cette vue, les cavaliers indiens ont repris courage ; ils reviennent de toutes parts, se rassemblent et se précipitent de nouveau dans la mêlée. L’aile droite était presque intacte ; elle accourt également et accourt suivie de ses chars. Jamais les Grecs, au rapport d’Arrien, n’ont livré « de bataille aussi tumultueuse. » La vaillante cavalerie qui n’a jamais eu et qui n’aura pas de sitôt sa pareille au monde, garde cependant partout l’avantage ; l’infanterie seule soutient, avec des alternatives d’espoir et de découragement, une lutte qui devient de plus en plus inégale. Les longues piques de la phalange, rompues du premier choc, n’étaient pas faites pour ce genre de combat ; les javelots des peltastes et les traits des archers eurent plus d’efficacité. Ce lurent les armes de jet qui décidèrent en faveur des Macédoniens la victoire. Alexandre l’avait pressenti et, dès le début du combat, l’annonçât avec une confiance prophétique à ses troupes. Aussitôt que quelques conducteurs eurent été mortellement atteints, ou grièvement blessés, la confusion ne fut plus seulement dans la phalange, elle envahit tout le champ de bataille. Des brûlots abandonnés au milieu de deux flottes que l’ampleur du combat aurait confondues, n’y causeraient pas plus de trouble et plus de dommage que n’en produisirent dans les armées aux prises ces monstres désormais sans guide et dont la fureur se trouvait excitée par les douloureuses blessures que les traits lancés de toutes parts leur infligeaient. Dans cette phase critique où le commandement était en quelque sorte désarmé, où chaque soldat n’avait plus à chercher de direction que dans les inspirations de son propre courage. Cratère, Meléagre, Attale, Gorgias, apparaissent, portant avec eux l’issue définitive du combat ; ils ont passé le fleuve à l’heure dite, sur les points mêmes qui leur avaient été désignés. Quand les réserves font preuve de cette ponctualité exemplaire, le destin ne garde pas longtemps ses balances indécises ; on l’a toujours vu se prononcer en faveur de l’armée dont le chef était le mieux obéi. Les troupes de Porus se voient enveloppes à l’instant même où elles se flattaient de ressaisir la victoire, à l’instant où les conducteurs faisaient un suprême effort pour ramener leurs éléphans au combat. La déroute en quelques minutes est complète et les Grecs n’ont plus que des fuyards à massacrer.

Les Indiens perdirent dans cette journée près de vingt mille hommes