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est un protecteur bienvenu. Je n’ai pas vu de foule arabe aussi importune. Notre Italien donne de grands coups de bâton, et après cinq minutes de luttes désespérées et de vociférations, nous nous trouvons hissés sur d’excellens baudets. Nous partons au grand trot, car le temps est glacial ; le vent cingle nos oreilles, la poussière nous aveugle ; un véritable supplice pendant une heure de cavalcade. Enfin, derrière un repli sablonneux, voici l’entrée du temple. Quelle surprise, après toutes les ruines que nous venons de voir et où l’imagination doit jouer un si grand rôle de reconstitution, de trouver une façade aussi complète dans son ensemble, un monument aussi bien conservé ! Cet état de préservation de Denderah est une chose unique. Comme à Edfou, l’immense édifice, déblayé intérieurement, est dégagé des monticules environnans par une large tranchée creusée tout autour. L’effet du fronton est majestueux lorsqu’arrivé à l’endroit où nous quittons les ânes, nous pouvons le voir tout entier, plongeant à vingt pieds au-dessous de nous. Nous sommes à moitié de sa hauteur ; nous descendons un escalier de vingt marches pour entrer dans le temple. Le péristyle est soutenu de colonnes énormes. Leurs chapiteaux, ornés de grosses têtes à oreilles de vaches, sont bien difformes quand on les compare aux lotus élégans qui couronnent les piliers du Ramesséum ; mais l’importance, le nombre des salles, des vestibules, des corridors que nous traversons ensuite nous confondent d’admiration. Les grands halls du milieu, éclairés par le haut, sont entourés de petites pièces obscures qui servaient de dépôts pour les objets sacrés et de sanctuaire. De là partaient les processions, cérémonie la plus importante du culte. Partout une profusion de bas-reliefs, d’hiéroglyphes. Hathor, la Vénus arabe, à tête de vache, régnait ici, déesse protectrice des plaisirs. A la célébration du nouvel an, la procession des prêtres montant par des corridors en pente pratiqués dans l’épaisseur colossale des murs et que nous gravissons encore aujourd’hui, sortait sur les vastes terrasses du toit et y exposait la statue de Hathor, revêtue de ses beaux habits, « au rayon de celui qui l’a créée, pour la grande fête du monde entier. » Les murs extérieurs sont ornés de colossales figures en bas-reliefs. Malheureusement ici, comme à l’intérieur, les têtes ont été presque toutes martelées et détruites par le zèle des premiers chrétiens. Sur la façade, derrière le temple, sont les fameux portraits de Cléopâtre, couronnée du disque d’Hathor et du casque à tête d’épervier. Dans l’intérieur des chambres obscures sont aussi plusieurs bas-reliefs de cette figure charmante, la grande magicienne des temps anciens, types assez semblables entre eux, sans beauté frappante, mais dont on comprend le charme extrême. N’est-ce pas un peu l’impression que laissent ceux de Marie Stuart, la charmeuse moderne ? Chose