Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vin étaient les plus indispensables. Mais, peu à peu, les habitudes se relâchèrent et les prêtres furent chargés, moyennant rétribution, de remplir le pieux devoir. L’eau était sans doute régulièrement versée, mais le vin était, paraît-il, aussi régulièrement bu par les braves choachytes. Ils avaient une autre source de revenus, encore plus considérable. Graduellement, la tiédeur et l’indifférence remplaçant l’ardente préoccupation des anciens Égyptiens sur la destinée du corps de leurs ancêtres, les prêtres s’emparèrent de tout ce qui concernait un défunt. Ils se chargent de la momie, de son transport au loin si elle doit être enterrée dans quelque sanctuaire spécial. Ils vendent des terrains dans les nécropoles, ils s’engagent à veiller sur toutes les liturgies des morts à perpétuité. Puis, ils laissent en héritages ces revenus à leurs fils, prêtres comme eux, leur partagent ces momies et ce qu’elles rapportent ! Quelquefois ils vendent cette singulière possession à d’autres choachytes, et l’on en retrouve les contrats. A son fils aîné, qu’il veut avantager, un prêtre écrit : « Je te donne les liturgies ci-nommées : Pselkous, fils d’Osouer et ses fils qui sont parmi les morts, et celles de leurs femmes et de leurs enfans qui sont vivans parmi les Égyptiens, et aussi leurs lieux de repos. » Il donne non-seulement ses droits sur les morts, mais sur les vivans : même dans quelques contrats on réclame les enfans qui sont encore à naître ! La momie représente donc au choachyte une part de ses revenus. Quelquefois, il y a procès entre les prêtres sur telle possession discutée. Les momies font office d’hypothèque, deviennent une sorte d’action nominative qui se négocie comme une valeur. Le mort et le vivant appartiennent donc au prêtre pendant cette étrange période où la grande religion antique se pervertit tout à fait.


Lundi, 23 janvier.

Nous errons dans Louqsor, chez les marchands de scarabées, chez le photographe, qui nous montre non-seulement des albums de vues, mais une collection repoussante de scorpions de plusieurs espèces, de scolopendres et d’énormes araignées velues, qu’il a prises l’été dernier dans son propre domicile ou tout autour. Il ne pourrait vivre ici pendant les chaleurs sans ses deux chats qui, avec un instinct prodigieux, chassent el tuent les vilaines bêtes sans en être jamais piqués.

Nous entrons chez un fellah qui nous offre des antiquités. Quel intérieur ! une vieille porte, un corridor enfumé où sont accroupis quelques êtres dans l’ombre, puis une cour poudreuse. D’un côté, la maison, c’est-à-dire un amas de pierres effondrées ; de l’autre, un mur d’appui en terre, et puis, à dix mètres au-dessous,