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ont disparu sois 40 pieds d’ensablement. La moitié d’un pylône jonche da berge abrupte de ses blocs sculptés. Un autre, intact encore, près duquel notre bateau est amarré, si puissant en apparence, disparaîtra quelque jour d’inondation. Ce qui reste de ce sanctuaire est si beau, si doré au soleil couchant, le Nil coule au pied de cette antique demeure de Sebek, le dieu crocodile, si doux, si moiré, si placide, qu’il est presque impossible d’imaginer une destruction peut-être très proche. Nous regagnons notre paisible bateau. Malheureusement mous n’avons pas de clair de lame et c’est à la clarté des étoiles que sous arpentons toute la soirée le petit pont familier. La majestueuse silhouette du pylône -nous domine. L’odeur des champs de fèves arrive à nous, exquise. Si la nuit n’était si froide, cm s’attarderait volontiers à rêver sous la grande voûte noire piquée de lumières. L’autre moitié du pont, séparée de nous par une rampe, est couverte de longs paquets roulés en tous des sens. Ce sont les passagère arabes qui dorment enveloppés de leurs manteaux.


Lundi 16.

Le même soleil ardent, le même vent glacé pour notre dernière journée à bord. Mon Dieu ! que nous redescendons vite le long de la rire émaillée des shadoufs et de sakkièhs ! A peine si nous entendons leur grincement étrange et harmonieux, qui nous suivait si longtemps quand nous montions il y a quatre jours, que déjà nous en sommes loin ! Le courant triple notre rapidité. Bientôt nous sommes devant un des plus beaux endroits de notre navigation. Les falaises roses, éclairées au soleil du matin, plongent à pic dans le Nil, ou se dessinent comme de vastes cirques dans le lointain d’or pâle. Ici l’on comprend combien a dû être grande l’influence du désert sur les origines de l’art égyptien. Toutes les lignes y sont horizontales, les monticules de sable nivelés par le vent sont des pyramides tronquées ; même les formes naturelles des rochers rappellent des profils de sphinx ou de figures hiératiques. Mais ce rapport merveilleux entre l’art égyptien et la nature ne peut être compris qu’ici et rend cet art presque impossible à apprécier lorsqu’il est transporté en Europe. La rive est partout animée de canards sauvages, de hérons bleus, de pélicans, de coucous huppés qui courent familièrement sur la levée que nous frôlons. Nous en sommes si près, par instans, que l’odeur nauséabonde d’huile de ricin, dont les nègres barbouillent tout ce qu’ils peuvent de leur personne, arrive jusqu’à nous.

Nos compagnons de route, les passagers arabes, sont pour moi un amusement perpétuel. Le pont, à l’avant, en est bondé. Les plus