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a pris part. Leurs poses sont si naturelles, leurs yeux d’émail si prodigieusement brillans, que le maçon enlevant la dernière pierre qui les cachait au fond de leur chambre mortuaire, se sauva terrifié en criant qu’il y avait dans le monument des génies vivans.


16 janvier.

Dès le matin, nous visitons les bâtimens abandonnés d’une immense raffinerie que l’ex-khédive avait installée ici avec un luxe insensé. Elle e a coûté 300,000 livres sterling et est devenue inutile par suite de la diminution des récoltes de sucre. Les chacals y font leur demeure. Les machines, toutes neuves, se rouillent sans avoir jamais servi. De tous côtés, dans la moyenne Égypte, il y a de semblables usines délaissées, tristes restes des folies de construction, des dépenses illimitées, des marchés scandaleux du dernier règne. Il faut quitter au milieu du jour ce coin doux et agreste et reprendre le ; train poudreux où nous étions hier. Jusqu’à huit heures du soir, nous traversons les flots de poussière insupportable pour laquelle cette ligne est légendaire. Bien las, à la nuit noire, nous arrivons à Assiout, le terme de notre voyage en chemin de fer, le début de notre navigation sur le Nil. Chè Babylonia ! de gens, de chevaux, de soldats, d’ânes, de chameaux I comme me dit ma petite camériste italienne. La bagarre, en pleine nuit, rend la lutte contre les envahisseurs fort difficiles. Un nous arrache littéralement, nous et nos paquets, pour nous meure de force à baudets. Nous résistons, car une course dans l’obscurité en pays inconnus, sur une selle d’homme, ne me tente pas. La chaussée où nous tâtonnons dans le sable a bien deux kilomètres de long et nous sommes heureux de nous retrouver sains et saufs dans le bon petit bateau postal qui va être notre home pendant huit jours.


11 janvier.

Nous sommes dix-huit passagers à bord. Sur le pont, à l’avant, nombre d’Arabes sont installés sur leurs tapis. Il fait froid et le ciel reste gris tout le jour. Les rives sont boisées de palmiers. La végétation est superbe de couleur, et les prés naissans d’un vert d’émeraude inimitable. Nous passons la journée installés sur le pont en très intelligente et très agréable compagnie d’amis anciens et de connaissances récentes. Les montagnes de la chaîne arabique deviennent grandioses ; coupées parfois de ravins profonds, falaises d’or aux ombres d’azur, tantôt bordant le Nil, tantôt fuyant au désert, où elles s’enfoncent avec des effets radieux et des tons d’une pureté trop exquise