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ne sont pas sans fatigue et sans péril. Les produits de la culture maraîchère ne pouvant attendre, il faut aller par tous les temps, sous la pluie et sous l’orage. On cite plus d’un accident tragique. C’est avec un véritable courage que la femme de l’hortillon lutte contre les violentes rafales de mars et d’avril. Pendant l’hiver elle cassera la glace à coups d’aviron pour se frayer un passage. Partie à la pointe du jour, elle revient faire le reste du jour œuvre de mère de famille, de jardinière aussi. Ce travail de l’hortillonnage n’a ni répit ni trêve. Il est exposé à des risques en raison de la variabilité des saisons et de la délicatesse des produits, sujet à d’excessives inégalités dans les prix de vente ; il mène peu en général à la fortune, mais assure l’aisance ; il contribue plus que tout autre à mettre une certaine dignité soutenue dans une existence modeste ; rien ne répond mieux à cette vie calme et régulière dans l’intérieur d’une famille unie et laborieuse, qui est, dans toutes les conditions, une des meilleures garanties du bonheur et qui fait les races saines et le fonds résistant des nations.


III

Nous avons recherché tour à tour les aptitudes natives, l’instruction, l’état de la famille, les mœurs et le degré d’intempérance, l’influence exercée par les occupations agricoles sur le développement intellectuel et moral des populations rurales du Nord et du Nord-Ouest. Il y aurait encore d’autres traits à recueillir pour peindre l’état de ces populations. Leur situation sous le rapport des croyances, la nature même de leur moralité, donnerait lieu à plus d’une observation. Nous devons dire aussi un mot des superstitions qui jouèrent longtemps un rôle dans ces campagnes, comme dans les autres, sous certains traits particuliers qui méritent peu d’être recueillis. Le fond de ces superstitions dans nos provinces du Nord était assez uniforme et assez plat. On ne croit plus guère aux revenans, on croit un peu aux sorciers. Les empiriques ont encore beaucoup de chances de faire des dupes en mêlant à leurs prescriptions de remèdes équivoques, des évocations mystérieuses, des simagrées qui ne le cèdent pas beaucoup aux anciennes grimaces de cette sorte de charlatans. Je ne veux pas exagérer la portée de ce genre de fléau qui a diminué, sans disparaître, mais, même dans ces proportions plus restreintes, il est une honte et un danger. Certaines révélations nous ont appris que de pauvres filles des campagnes ont eu tort de se fier à ces empiriques, tout pleins de lumières sur les causes de leurs maux et sur les moyens de les guérir. Les tribunaux ne disent pas tout. Les victimes qui ont souffert dans leur bourse et