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de dissipation et d’imprévoyance ; il est rare que le caprice ne finisse pas par rompre ces liens qu’il a formés. L’union libre, comme on prétend nommer aujourd’hui ces sortes de cohabitations, est tolérée, acceptée dans ces villes, au point qu’on l’y remarque à peine. De telles mœurs sont absolument incompatibles avec le genre de vie du paysan, et on peut dire avec sa nature même. Il y a dans les mêmes villes un concubinage plus régulier. Plus honnête d’allures et d’habitudes, il semble qu’il ne lui manque que les formes légales et le sacrement pour devenir une union vraiment morale que la société puisse avouer. Le paysan ne répugne pas moins à ces unions illicites d’une nature plus ou moins durable qu’à celles qui ressemblent à des loyers à courte échéance. Je ne veux pas dire que le frein religieux et moral n’y soit pour rien en nombre de cas, que l’opinion, restée sur ce point très sévère dans les campagnes, ne s’y oppose pas avec énergie. Mais je crois voir ailleurs les motifs déterminans qui corroborent la haine instinctive du paysan, non-seulement dans ces sages provinces, mais à peu près partout, contre tout ce qui sent le désordre établi à demeure. Il veut un vrai foyer dont il soit maître, il veut être maître de sa femme, en avoir la possession durable et assurée, vivre avec elle dans une association d’intérêts tout aussi bien que d’affections. Le souci de la propriété et celui des enfans reconstitueraient pour lui le mariage régulier quand même mille causes l’ébranleraient ailleurs. Ce n’est pas lui qui fera jamais ahus des facilités du divorce. La stabilité de la vie, la fixité des contrats sont les choses du monde auxquelles il tient le plus. La femme des campagnes accepterait encore moins la condition humiliée qui peut la faire renvoyer d’un jour à l’autre comme une servante. Aussi a-t-elle en général les vertus de la femme. Dans ces campagnes flamandes, où les filles ne savent pas toujours résister, l’adultère de la femme est une exception des plus rares. Allons plus loin : le ménage est en général satisfaisant. La rudesse du mari, quand elle se montre, ce qui est un peu plus fréquent peut-être en Picardie, est le plus souvent superficielle. Le paysan, le fermier picard obéit au tempérament indigène, quand il s’emporte, gronde, crie et tempête, mais cela tombe vite, et la femme, qui connaît ces humeur-là, s’en émeut rarement beaucoup. N’a-t-elle pas d’ailleurs la ressource de reporter ses vivacités sur ses enfans ? Femme soumise, elle dit encore, comme au bon vieux temps, notre maître, en parlant de son mari. Mais elle est maîtresse à sa place, et en tout elle a sa part d’influence. Conseillère écoutée, elle a droit de vote au logis, quand il s’agit de quelque marché à conclure.

Elles sont, nous devons le dire bien haut, l’honneur de nos