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Que ces coupes, que ces vases, que ces bijoux aient été portés en Italie par les Phéniciens, on en peut d’autant moins douter que, sur un des objets trouvés à Palestrina, on lit une inscription phénicienne. Mais de quels Phéniciens veut-on parler ? Sous ce nom on peut entendre deux peuples dont la destinée a été fort différente, quoique leur origine fût semblable. L’un d’eux habitait les rivages de l’Asie ; l’autre, fils du premier, s’était établi en Afrique. Est-ce de Tyr, est-ce de Carthage que partaient les marchandises que nous retrouvons en Italie ? M. Helbig n’hésite pas à répondre qu’elles venaient de Carthage. La principale raison qu’il a de le croire, c’est qu’on ne sait rien des relations que les gens de Tyr entretenaient avec les populations italiques, tandis qu’on est certain que les Carthaginois fréquentaient les ports de la péninsule et y apportaient les produits de leur industrie. Si cette hypothèse est sûre, nous arrivons du même coup à fixer d’une façon très vraisemblable l’époque où ce commerce s’est exercé. M. Helbig croit pouvoir affirmer qu’il ne remonte pas beaucoup plus haut que le VIIe siècle avant notre ère. Au siècle suivant, les rapports des Carthaginois avec les Italiens devinrent plus étroits. Ils s’unirent ensemble pour s’opposer aux progrès des Grecs, maîtres de l’Italie méridionale et qui voulaient pousser leur domination plus loin. Il n’est pas douteux que d’adroits négocians comme les Carthaginois n’aient profité de cette circonstance favorable pour placer avantageusement leurs marchandises. Ils n’aimaient pas la guerre pour elle-même, tenaient médiocrement à la gloire et ne cherchaient à faire des conquêtes ou des alliances que pour se créer des débouchés. Aussi voyons-nous qu’à la fin du VIe siècle, ils signent avec la jeune république romaine un traité de commerce dont Polybe nous a conservé le texte. Rome avait alors bien peu d’importance, mais on doit tout prévoir, quand on est habile, et Carthage s’entendait à ménager l’avenir. C’est à la suite de ce traité et de l’alliance avec les Étrusques, que les navires carthaginois, sûrs de n’être pas inquiétés, apportèrent en Italie tous ces objets précieux dont les contemporains de Brutus et de Porsenna se paraient pendant leur vie et qu’on enterrait avec eux après leur mort. Le VIe siècle avant notre ère et le commencement du Ve sont donc l’époque où ce commerce fut le plus actif, et c’est à ce moment surtout qu’il est naturel de rapporter ces grandes importations d’objets orientaux qu’on a trouvés dans les tombes de l’Italie[1].

  1. M. François Lenormant, tout en acceptant en général les opinions de M. Helbig, y met pourtant une restriction : il croît que quelques-uns de ces objets d’apparence orientale ont pu être apportés en Italie, non par les Carthaginois, mais par les Grecs. Les Grecs aussi imitaient alors l’Orient, et lus produits de l’industrie des Ioniens ne différaient pas beaucoup à ce moment de ceux des Asiatiques. M. Lenormant a rapporté de Vulci et de Cervetri des vases dont le style parait au premier coup d’œil absolument égyptien ou phénicien ; mais quand on en regarde les peintures de plus près, on s’aperçoit qu’elles retracent des fables purement grecques. Il faut donc, selon lui, même dans ce commerce primitif, faire quelque part aux Grecs.