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n’avaient commencé à s’en inquiéter qu’après que les agitations politiques vinrent troubler la sérénité des consciences et les ouvrir aux terreurs religieuses. Aux archéologues de cette école, qui ne veulent voir sur aucun monument des allusions à ce qui suit la mort, M. Ravaisson oppose l’interprétation qu’il vient de donner des prétendues « scènes des adieux. » Il y ajoute une façon nouvelle de comprendre ce qu’on appelle « les repas funèbres. » Ils sont, pour lui et pour beaucoup d’autres[1], l’expression de la condition divine de l’âme quand elle a quitté le corps, et une manière de représenter la béatitude dont elle jouit après la vie. Aussi voudrait-il qu’on leur donnât le nom de « banquets élyséens. » Aux raisons qu’a réunies M. Ravaisson pour appuyer son sentiment, M. Helbig en joint une qui ne manque pas d’importance. Il a remarqué que, dans la tomba del Orco, dont il sera question plus loin, autour des scènes où paraissent les dieux, l’artiste a tracé une ligne de couleur bleu sombre, qui ressemble tout à fait au nimbe par lequel les peintres du moyen âge désignaient les têtes des saints à la vénération des fidèles. Or cette tombe, comme presque toutes les autres, renferme un banquet, et ce banquet est entouré du même nimbe ; d’où l’on peut conclure que les convives sont censés être aussi des habitans du ciel.

Quelle que soit la force de ces argumens, je crains bien qu’il ne reste quelques doutes à ceux qui viennent de visiter les fresques de Corneto. Elles ont un caractère si franchement terrestre, elles reproduisent avec tant de vérité des actions de la vie ordinaire, qu’on a grand’peine à concevoir que l’artiste ait songé à peindre des dieux et nous transporter dans l’Elysée. Dans la tomba del vecchio, un vieillard dont la barbe blanche fait ressortir le teint bistré est couché auprès d’une jeune femme et lui prend familièrement le menton. Un air de satisfaction-sensuelle est répandu sur ses traits, et la femme elle-même se prête assez volontiers à ses caresses. Il nous faut faire un violent effort pour nous persuader en les voyant que nous ne sommes plus sur la terre. Pour les chasses, pour les jeux, pour les danses, la difficulté est plus grande encore. Il serait sans doute fort naturel d’y voir une image des plaisirs que se donnent les bienheureux dans les pays d’outre-tombe. « Les uns, dit Virgile, exercent leurs membres aux jeux de la palestre et luttent entr’eux sur le sable jaune, d’autres frappent la terre en cadence. Le goût qu’ils avaient pendant leur vie pour les chars et les chevaux ne les quitte pas après qu’ils ont cessé de vivre. » Mais

  1. Cette opinion a été notamment soutenue en Allemagne par MM. Ambrosch et Stephani.