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plus étendues. Expérience faite, il avait modifié ses idées. Il était arrivé à penser que la situation de l’Irlande réclamait des mesures vigoureuses de compression. Il avait adopté cette politique avec tristesse, mais avec conviction ; il l’avait défendue, il l’avait appliquée. Il continuait à la considérer comme nécessaire : plutôt que d’y renoncer, il donna sa démission. Les détenus de Kilmainham furent remis en liberté et revinrent triomphalement prendre leurs places dans le parlement. On a beaucoup dit qu’un traité secret était intervenu entre eux et M. Gladstone. De temps en temps encore, dans la chambre des communes, l’opposition interroge curieusement le premier ministre sur ce qu’elle appelle le pacte de Kilmainham. Ce qui est certain, c’est qu’avant sa mise en liberté, M. Parnell avait écrit à l’un de ses amis une lettre dans laquelle il lui disait que, si le gouvernement consentait à faire certaines concessions, il en ferait aussi de son côté ; ce qui est certain, c’est que cette lettre fut montrée à M. Gladstone et qu’immédiatement après la mise en liberté de M. Parnell et de ses codétenus fut décidée. M. Gladstone ne comptait pas s’en tenir là. La place de ministre d’Irlande se trouvant libre par la démission de M. Forster, il se proposait de la donner au membre le plus avancé du cabinet, M. Chamberlain, ancien fabricant de vis à Birmingham et chef du fameux caucus radical de cette ville. Ce choix aurait été particulièrement agréable aux députés irlandais. Il fallut y renoncer. La fraction whig du cabinet, c’est-à-dire la fraction qui représente le vieux libéralisme aristocratique, y fit une résistance absolue. C’est alors qu’on eut l’idée de confier ce poste à un frère cadet du marquis d’Hartington, lord Frederick Cavendish, homme de l’aristocratie whig par sa naissance, homme de M. Gladstone par ses idées et aussi par une alliance de famille. Le malheureux partit pour l’Irlande plein d’illusions généreuses ; il partit pour inaugurer une politique de conciliation. Quelques heures après avoir débarqué à Dublin, il tombait, avec son sous-secrétaire d’état, M. Burke, entre les mains de quatre assassins. Cette tragique histoire est d’hier ; tout le monde la connaît. En plein jour, dans le Phœnix-Park, à deux pas de promeneurs paisibles et presque sous leurs yeux, le ministre d’Irlande et son principal collaborateur furent tailladés à coups de couteau jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Comme dans le cas de lord Mountmorres, comme dans cinq cents autres cas du même genre qui se sont produits depuis deux ans, les assassins n’ont pas été découverts : ils ne le seront jamais. Aucune récompense, si forte qu’elle soit, ne décidera un Irlandais à livrer l’auteur ou les auteurs d’un crime agraire. Le bruit récemment répandu de l’arrestation d’un des complices du crime en Amérique n’était pas exact. L’homme qui s’était lui-même dénoncé comme ayant joué un rôle dans la