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des grands domaines irlandais, déjà diminué de près de 20 pour 100 en 1870, a subi une nouvelle diminution de à 5 pour 100 en 1881. Griffith en 1836 évaluait le revenu des propriétés rurales en Irlande à 9 millions de livres sterling ; le chiffre, ainsi que nous l’avons dit, étant inférieur de 25 pour 100 à la valeur réelle, doit être majoré de 3 millions, ce qui le porte à 12 millions de livres sterling, soit 300 millions de francs. Par suite de l’application des deux lois Gladstone et surtout de la loi de 1881, ce revenu est descendu au-dessous de 200 millions de francs : il est aujourd’hui évalué à 185 millions. Si considérable que soit ce sacrifice, puisqu’il représente plus de 100 millions de revenu, il n’a pas apaisé l’agitation agraire ; il n’a pas satisfait les paysans ; il n’a pas rendu plus régulier le paiement des fermages. En 1877, 1878, 1879, quand la récolte était mauvaise et que le fermage était élevé, le fermier payait mal ; maintenant que la récolte est bonne et que le fermage est réduit, le fermier paie encore plus mal. Celui qui n’a pour vivre que le revenu d’une propriété en Irlande risque de mourir de faim. Et qu’on ne s’imagine pas que cette suppression presque complète de revenue tombe exclusivement sur quelques centaines de grands propriétaires. C’est là une idée dont il faut se défaire quand on connaît l’organisation de la propriété en Angleterre et en Irlande. La plupart des grands domaines sont substitués : donc on ne peut les vendre ; donc on est amené à les grever de toute espèce de charges. C’est sur ces domaines que l’on assoit les rentes dont on est débiteur envers les membres de sa famille ou envers ses créanciers. On pourrait citer des propriétés dont le revenu tout entier passe entre les mains des tiers sans que le propriétaire en touche un penny. Par conséquent, lorsque les fermages ne sont pas payés, il y a des milliers de familles qui sont atteintes par tel état de choses ; il y en a en Angleterre, il y en a sur le continent ; il y a dans le nombre des familles de petits bourgeois et de boutiquiers. Voilà dans toute sa vérité la situation créée par le non-paiement des fermages, par cette espèce de faillite générale de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre.

Le non-paiement des fermages était déjà partiellement pratiqué, lorsqu’au mois d’octobre 1881 il fut élevé à la hauteur d’un système dans un manifeste émané des chefs de la ligue agraire. Le gouvernement, craignant à tort ou à raison des tentatives d’insurrection en Irlande, avait arrêté dans le courant de l’année quelques-uns des personnages les plus compromis. D’abord il avait mis la main sur Michel Davitt. Cette arrestation n’avait rien à voir avec la loi récemment votée pour autoriser l’emprisonnement par mesure administrative, Davitt étant encore sous le coup de son ancienne condamnation et n’ayant été mis en liberté que d’une manière