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scrutin perpétuellement ouvert. M. le président du conseil ne s’apercevait pas qu’avec ses procédés il confondait et dénaturait toutes les conditions de la vie publique, et qu’en abdiquant les droits du gouvernement, il ne facilitait pas l’œuvre du parlement. Cette crainte de la responsabilité s’est traduite d’une manière presque naïve il y a quelques jours dans les rapports du cabinet avec une commission au sujet des premiers crédits demandés pour les affaires égyptiennes. Un membre de la commission, à ce qu’il paraît, s’était hasardé à demander s’il n’y aurait pas « avantage à ce que le crédit fût voté avec cette signification que le gouvernement était dès à présent autorisé à faire usage des armemens qu’il réclame pour un cas pressant. » À cette question fort sensée, le ministre, — au dire d’un rapporteur qui parle une langue assez baroque, — aurait répondu qu’assurément une telle attitude ne pourrait pas être refusée par le cabinet, si les chambres croyaient devoir la lui offrir, mais qu’il ne jugeait pas opportun de prendre, quant à présent, l’initiative de réclamer ce pouvoir.

C’est fort bien assurément de respecter les chambres, de se soumettre à leur volonté ; mais si le système parlementaire était tel qu’on le représente depuis quelque temps, tel que l’a pratiqué le dernier président du conseil, il serait le plus désastreux des régimes. Il éteindrait toutes les initiatives et détruirait partout le sentiment de la responsabilité ; il serait l’impuissance organisée. Et sait-on ce qui en résulte ? Il y a deux conséquences également graves : la première, c’est qu’un chef de cabinet sans volonté perd nécessairement toute autorité devant le parlement auquel il témoigne de telles obséquiosités. Il y a une autre conséquence bien plus dangereuse encore dans les rapports extérieurs. Comment les gouvernemens étrangers seraient-ils tentés de traiter sérieusement avec un pouvoir qui, même lorsqu’il essaie de marcher, ne sait pas s’il existera demain ?

Au courant de la brillante et rapide discussion qui s’est engagée, il y a peu de jours, devant le sénat sur ces malheureuses affaires d’Égypte, un des partisans les plus décidés de l’alliance anglo-française, M. Waddington, a exprimé l’opinion que, si M. Gambetta était resté plus longtemps au pouvoir, l’entente désirable des deux pays serait allée sans doute jusqu’à l’action militaire ; il a ajouté que les hésitations du gouvernement anglais n’avaient tenu, n’avaient dû tenir qu’à des perspectives d’instabilité ministérielle et de crise intérieure en France. Eh ! sans doute, il est possible que dans des conditions moins incertaines, moins précaires, le gouvernement anglais eût été plus prompt à se décider, que M. Gambetta eût réussi à donner plus de force et d’extension à cette alliance pour laquelle il se prononçait si ardemment ces jours derniers encore ; mais c’est là justement toujours la question. Pourquoi M. Gambetta, avec son énergique intelligence des intérêts français en Égypte et ses idées sur l’alliance anglaise, a-t-il échoué au moment