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proclamer que la régénération des peuples musulmans est dans le retour aux vieilles mœurs et aux principes de l’islam. A cet égard, si injurieux que puisse sembler un pareil rapprochement pour les Russes, il y a une secrète parenté entre le nouveau panislamisme et le panslavisme ou mieux le néo-slavophilisme de Moscou. Tous deux prêchent avec un aveuglement presque égal qu’en dehors des anciennes traditions il n’y a pas de salut, et que tout bon patriote doit travailler à évincer l’européisme.

Or c’est l’Europe et l’influence européenne qui ont fait l’Égypte moderne, qui, hier encore, semblaient l’avoir placée à la tête du monde musulman et être en train d’en faire une sorte d’état modèle pour tout l’islam. En dehors de cette influence et, je dirai plus, en dehors de cette tutelle de l’Europe, il n’y a de longtemps pour l’Égypte que barbarie, décadence, appauvrissement.

On a souvent accusé les puissances occidentales de n’avoir, en Égypte, songé qu’à elles-mêmes et à leurs nationaux sans se soucier des indigènes et du peuple égyptien, cyniquement sacrifiés à la rapace cupidité des banquiers de Londres et de Paris, des négocians d’Alexandrie ou du Caire et de tous les oiseaux de proie accourus de l’Occident au pays des Pyramides. Qu’y a-t-il de vrai dans ces doléances dont l’écho, grossi par l’esprit de parti ou les jalousies nationales, a bruyamment retenti du Caire à Rome, à Paris, à Londres ?

Certes, la France et l’Angleterre, en s’immisçant dans les affaires égyptiennes, ont eu d’abord en vue les intérêts français, les intérêts anglais. Et à quel autre titre pouvaient-elles intervenir ? Voudrait-on qu’elles eussent fait de la politique en dehors de leurs intérêts nationaux ? E-t-ce à dire pour cela, comme on cherche de divers côtés à en accréditer l’opinion, qu’elles aient systématiquement immolé le peuple d’Égypte à leur égoïsme ? Rien n’est moins prouvé.

Il faut juger l’arbre par ses fruits, dit l’évangile ; or si l’on juge du contrôle anglo-français par ses premiers résultats, par les fruits surtout qu’il eût donnés en quelques années, pour peu qu’on leur eût laissé le temps de mûrir, il nous paraît évident que l’Égypte avait tout à gagner à l’ingérence des deux puissances.

Ce qui a été le plus attaqué dans l’action commune de la France et de l’Angleterre, c’est le contrôle financier. On a prétendu qu’il écrasait, qu’il saignait le peuple égyptien ; on a été jusqu’à dire qu’il appauvrissait l’Égypte. Au risque de paraître me plaire aux paradoxes, j’avouerai qu’à mes yeux ce contrôle tant décrié devait surtout profiter à l’Égypte. C’est elle qui a le plus à perdre à sa suppression.

Le contrôle anglo-français, sans doute, comme toute immixtion de l’étranger, a blessé des susceptibilités, produit des froissemens, fait des mécontens ; il a pu même donner lieu à des abus ; dans quel