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hystérique affirma avoir vu l’eau couler sur son visage ! Aussitôt une foule de gens virent la sueur perler sur les traits de l’image vénérée. Pendant deux mois, le village tout entier délira et fut en proie aux hallucinations les plus variées.

Aujourd’hui la science a éteint les bûchers, détruit la croyance au surnaturel diabolique et expliqué cliniquement toutes ces hallucinations. Elle a vu que l’opium et le haschich procurent des rêves délicieux, que le sulfate de quinine fait entendre un bruit de cascade imaginaire, que la belladone trouble la vue, que la strychnine détermine des convulsions, que toutes ces hallucinations des sens s’observent dans les maladies aiguës les plus naturelles. Elle a vu, en outre, que toutes ces prétendues possessions démoniaques étaient toujours accompagnées de tremblemens, de convulsions, de raideurs tétaniques, de troubles dans les sens, de perversion de la sensibilité, de paralysie ; que tous les traits de ce tableau, étaient du domaine du médecin. Ces démons et ces esprits qui ne pouvaient intervenir que par l’intermédiaire des nerfs, sont devenus de simples maladies nerveuses, et l’école de la Salpêtrière, dirigée avec tant de talent par M. Charcot, a montré que cette maladie spéciale était l’hystéro-épilepsie, observée de nos jours. Aujourd’hui ! on n’en voit plus guère que des cas isolés. Autrefois et le se manifestait très souvent sous forme épidémique, parce que chez les ignorans, les malheureux, les misérables, la croyance au merveilleux est une consolation et l’imitation un penchant naturel. Quand, au moyen âge, un même malheur, une même calamité frappait un groupe d’individus, tous ses membres se trouvaient dans un milieu propice pour être atteints par la maladie nerveuse que les événemens sociaux répandaient dans l’air. C’est ainsi, nous dit M. Littré, qu’au XIVe siècle, lei besoin d’expiation développa la. grande épidémie des flagellans, que : les persécutions religieuses provoquèrent au XVIIe siècle des épidémies convulsionnaires et extatiques chez les protestans camisards des Cévennes et les jansénistes de Saint-Médard. Ces épidémies nerveuses, comme les grandes épidémies miasmatiques, sont soumises à certaines lois de développement. Seulement, il ne s’agit plus de l’influence de la nourriture, de l’air, du chaud, du froid, d’agens délétères, mais bien de l’état social, des influences morales, des douleurs générales, créant des penchans irrésistibles qui s’emparent d’une foule d’esprits préparés à les recevoir. Cette question des milieux psychiques a beaucoup préoccupé M. Littré, dès 1856,. et ses études ont provoqué un grand nombre de travaux publiés depuis cette époque. La science a vu que le grand agent de diffusion de ces épidémies est une exagération du sentiment religieux chez des âmes surexcitées par les perturbations