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les anciens n’ont rien omis, si bien qu’il ne parle pas de la petite vérole qui existait de son temps et qu’un médecin syrien, Aaron, avait déjà décrite en Orient : les anciens avaient tout vu, donc la petite vérole avait tort d’exister[1].

il faut arriver au XVIe et au XVIIe siècle pour trouver quelques velléités d’indépendance. Mais quels essais malheureux ! Paracelce et Van Helmont, ne se contentant pas de se révolter contre l’autorité exagérée de Galien et d’Hippocrate, disent qu’il n’y a rien de bien chez les anciens, qu’il faut tout renverser, et, à l’exemple de bien des révolutionnaires, leur œuvre ne vaut pas celle qu’ils détruisent. Van Helmont disait que la médecine était une table rase et vide, sur laquelle il a voulu écrire la vérité éternelle, car il croyait savoir tout ; par exemple, que l’âme était dans l’estomac, que la mémoire était dans le cerveau, tandis que la volonté était dans le cœur ; que les purgatifs, la saignée, les exutoires sont de vieilles friperies bonnes à mettre au magasin des oripeaux. M. Littré nous démontre que le nouvel édifice ne valait pas l’ancien ; il ne reposait pas sur une saine observation, mais sur les conceptions les plus bizarres de l’alchimie. L’œuvre de Paracelse et de Van Helmont ne tenait pas sur ses pieds ; elle n’a pas résisté à l’épreuve du temps. L’heure de la rénovation n’avait pas sonné pour la médecine ; elle attendait Harvey, Haller, Lavoisier et Bichat[2]. Aussi cette excursion à travers l’histoire des sciences médicales nous ramène à notre point de départ, à la théorie féconde de M. Littré, sur la connexion des sciences. La médecine suit la fortune de la physiologie, et la physiologie ne peut progresser que lorsque la physique et la chimie sont toutes deux constituées.

M. Littré a aussi appliqué à toute l’histoire de la médecine cette belle méthode inaugurée solennellement dans l’interprétation d’Hippocrate et qui consiste à étudier attentivement les faits anciennement observés à l’aide de la lumière que procurent les connaissances modernes en anatomie, en physiologie, en pathologie. De cette façon, il a donné un but réel et fécond à l’érudition, il a rendu la vie et l’actualité aux questions anciennes qui semblaient éteintes et ensevelies à jamais dans un juste oubli. De cette façon, il a détruit plusieurs assertions fausses acceptées par l’histoire en établissant des diagnostics rétrospectifs. Ainsi, quand Alexandre mourut, à Babylone, à trente-trois ans, au milieu des plus grands succès que puisse rêver un conquérant, on pensa de toute part qu’il avait été empoisonné, et les soupçons se portèrent sur Antipater, commandant de

  1. Voyez Littré, Journal des savans, décembre 1855, article sur la traduction de Paul d’Égine par M. Brian.
  2. Voyez Littré, Journal hebdomadaire de médecine, 1830. Article sur Van Helmont.