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de l’école latine fondée à Palerme au ixe siècle. Mais la multitude de ses travaux ne lui permit pas d’aller plus loin[1]. La fin de la tâche échut à son élève, à mon père, qui parcourut les bibliothèques de l’Europe et y trouva les vestiges nombreux d’études médicales très actives entre la chute de l’empire romain et l’invasion des Arabes. On traduisait, on commentait, on enseignait. Comme la médecine en vogue venait de Rome, elle était surtout représentée par les méthodistes Soranus et Alexandre de Tralles. Cependant ce siècle de conservation par excellence nous a transmis en outre les œuvres de plusieurs compilateurs des premiers siècles de notre ère, et entre autres celles de Pline le naturaliste et d’Oribase.

On ne peut oublier de parler de Pline en parlant de l’œuvre médicale de M. Littré, car le grand historien de la médecine l’a traduit et commenté[2]. Ce n’était pas là une œuvre facile ; Pline parle de tout, et il fallait connaître presque toutes les branches des connaissances humaines pour le faire comprendre. C’était un singulier personnage que ce Pline. Grand ami de Vespasien, avocat, homme de guerre, homme d’état, n’ayant vécu que cinquante-six ans, il a écrit sept gros ouvrages d’histoire, de littérature, de science, sur lesquels l’Histoire naturelle seule est parvenue jusqu’à nous. Mais quelle vie studieuse ! Pline le jeune nous raconte que son oncle ne perdait pas une minute. Levé avant le jour, il n’enlevait à l’étude que le temps du bain, et encore, pendant qu’on le frottait, il écoutait quelque lecture ou dictait ; pendant les repas, il lisait et prenait des notes. L’élégant auteur des Lettres ajoute : « Quel est celui qui, à côté de mon oncle, ne rougirait d’une vie qui semble n’être que sommeil et oisiveté ? » Cette réflexion pourrait tout aussi bien s’appliquer à M. Littré qu’à Pline l’ancien. Car est-il beaucoup d’entre nous qui ne rougiraient de leur oisiveté en jetant un regard sur la vie de labeurs incessans de l’éminent historien et de l’illustre lexicographe ? M. Littré avait, comme les anciens, l’amour de la science universelle, mais il avait aussi ce qui leur manquait et ce qui manquait surtout à Pline, l’esprit critique. Du reste, il serait injuste de demander cette qualité au célèbre Romain. M. Littré nous fait remarquer que Pline est un littérateur qui s’est mis sans préparation aucune à traiter des sujets scientifiques. De la médecine il n’en a aucune notion ; sa thérapeutique est la transcription fidèle des absurdités et des superstitions qui avaient cours parmi ses contemporains. « Ce semble, nous dit M. Littré, le livret des recettes d’un vieux berger et parfois des formules de quelque sorcier. » Son livre fut cependant le flambeau du moyen âge et triompha

  1. Voyez Littré, Histoire littéraire de la France, t. XVI.
  2. Pline, traduction en français, par E. Littré, 2 vol. ; Dubochet 1848.