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critiques alexandrins et qui exerça en vain la sagacité des innombrables commentateurs depuis le IIIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à nos jours. M. Littré, le premier, a porté la lumière dans ce fatras, rendant à Hippocrate ce qui lui appartenait, et cela seulement. Les témoignages des contemporains d’Hippocrate, Platon, Ctésias, Diodes de Caryste, nous apprennent qu’il faut réellement lui attribuer la paternité du Traité des articulations, des Aphorismes, de l’Officine du médecin. Par des recherches ingénieuses et des rapprochemens sagaces, M. Littré a montré qu’il en était de même pour le traité des Fractures, le Pronostic, les livres I et III des Épidémies, le Régime des maladies aiguës, l’Ancienne médecine, le traité des Airs, des Eaux et des Lieux. Et, coïncidence remarquable, ce sont les œuvres les plus belles de la collection hippocratique que la critique savante de M. Littré attribue à Hippocrate. Tous ces livres, démontrés authentiques, présentent bien un ensemble où règne, une seule pensée, où tout se lie et où l’on ne remarque ni incohérence ni contradiction.

Ce travail ardu, pénible, hérissé de difficultés, était absolument nécessaire pour rechercher la vraie doctrine d’Hippocrate, sur laquelle on avait imprimé tant de belles phrases creuses. Avant de juger l’œuvre d’un homme, il faut d’abord savoir ce qu’on peut lui attribuer en propre. Cette vérité si simple n’avait cependant pas été reconnue avant M. Littré, et ses prédécesseurs nous avaient montré un Hippocrate absolument falsifié. Les textes sûrs et précis, voilà le premier matériel d’investigation absolument nécessaire à l’historien. M. Littré l’a bien compris, car s’il a été un des chefs de l’école positiviste en philosophie, il a été le maître de l’école positive dans l’histoire des sciences. Il l’a encore prouvé en interprétant ces textes obscurs. Quand on traduit un livre de médecine ancien, il ne suffit pas de remplacer les mots d’Une langue par ceux d’une autre : il faut s’identifier avec l’époque de son auteur pour donner un sens précis aux faits observés, aux idées exprimées dans un milieu qui n’avait ni les mêmes moyens d’exploration ni les mêmes procédés de raisonnement que nous. Il faut laisser à la vieille médecine son cachet antique, tout en l’éclairant à la lumière de la science moderne. C’est cette méthode critique que M. Littré a inaugurée, que la postérité appellera la méthode de Littré, et qui entre ses mains a fait naître les découvertes les plus inattendues.

Avant lui, on trouvait dans Hippocrate l’histoire d’une foule de maladies sur lesquelles il était impossible de mettre une étiquette moderne. On pensait qu’il parlait d’affections éteintes ou de cas mal observés. Une étude attentive a démontré à M. Littré qu’Hippocrate avait su observer plus de trois cents ans avant Jésus-Christ des faits que les modernes ont cru découvrir de nos jours. Ainsi,