Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maître dans l’art de la vulgarisation scientifique, en abordant les problèmes les plus élevés de l’astronomie, de la physique, de l’histoire naturelle, des sciences médicales. M. Littré ne pensait pas que la science puisse être présentée au public en la tronquant, en la défigurant à force de la rendre agréable et facile, mais bien qu’il fallait l’élever et l’éclairer par quelque grande pensée philosophique. « L’Isis des Égyptiens, disait-il, symbole de la nature et de la science, était représentée à Saïs couverte d’un voile que nul mortel ne pouvait soulever. L’esprit mûri et la main ferme des modernes ont écarté plus d’un pli de ce voile ; mais quiconque veut entrevoir le visage de la déesse ne doit pas craindre la sévérité qui appartient à toute beauté intellectuelle[1]. »

A la même époque, M. Littré fait de nombreux articles dans le Dictionnaire de médecine en trente volumes, dans la Gazette médicale, il publie un opuscule sur le Choléra. Il devient collaborateur de la Revue des Deux Mondes en 1836 et y débute par un remarquable article sur les grandes épidémies. En 1837, il fonde le journal l’Expérience avec Dezeimeris et partage pendant un an la direction de ce recueil avec le savant bibliothécaire de la Faculté. Déjà, à ce moment, M. Littré s’était voué corps et âme à l’étude de l’histoire de la médecine. Dans son journal, il proclame que la science est fille du temps et que nos connaissances actuelles deviendraient une grande île déserte si on ne recherchait pas leurs rapports avec les productions antérieures, en renouant la tradition. L’année suivante, en 1839, il publie le premier volume de la Traduction des œuvres d’Hippocrate, que l’éminent éditeur J.-B. Baillière lui avait confiée sur les instances de Rayer et d’Andral. Cette publication plaça immédiatement M. Littré au premier rang parmi les historiens de la médecine, et la même année l’Académie des inscriptions lui ouvrit ses portes ; il n’avait que trente-huit ans.

Quelle facilité et quelle puissance de travail il fallait pour produire à la fois tant d’oeuvres parfaites ! Un contemporain de M. Littré, le savant pathologiste infantile, M. Roger, son vieil ami de la première et de la dernière heure, me racontait que, pour faire un de ses beaux articles de critique scientifique, il étudiait son sujet le soir avant de se coucher, et, le lendemain matin, il dictait sans s’interrompre un instant. Un jour, les directeurs du Dictionnaire de médecine lui confièrent l’article Cœur et lui adjoignirent le docteur Blache pour l’aider. Blache fut chargé de compulser les auteurs anglais, Littré garda tout le reste du travail. Les tâches préparatoires terminées, M. Littré va chez M. Blache, examine les notes de ce dernier, les approuve. Alors M. Blache lui demande comment

  1. Journal des Débats, 5 février 1855.