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(art. 6) « les nominations faites par le directoire durent avoir en tout point le même effet et la même durée que si elles avaient été faites par les assemblées primaires et électorales. » C’est ainsi qu’à Paris, sur cinquante-trois juges élus, quarante-sept furent inconstitutionnellement remplacés. On ne respecta donc, dans aucune de ces périodes de notre histoire révolutionnaire, ni les nouvelles lois d’organisation judiciaire, ni les droits que les tribunaux tiraient des constitutions elles-mêmes, ni les manifestations les plus claires de la volonté nationale, et ce régime électif, qu’on propose encore à notre admiration, ne fut qu’une comédie.

Faut-il chercher maintenant ce que furent, à partir de germinal an vi les derniers magistrats élus et quelles garanties offrirent aux justiciables ces tribunaux épurés à tant de reprises et triés avec tant de zèle ? Qu’on veuille bien parcourir les rapports des conseillers d’état chargés en l’an IX d’une enquête sur la situation de la république. « Dans les campagnes, écrivait Redon, envoyé dans les départemens de Sambre-et-Meuse, de la Meuse-Inférieure et de l’Ourthe, les maires ne savent pas lire, les juges de paix n’ont aucune idée des lois. » « Les juges de paix, écrivait Najac, « envoyé dans le Rhône, la Loire, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et le Cantal, sont médiocrement bons à Lyon, à deux ou à trois près. A la campagne, beaucoup manquent de lumières ; quelques-uns sont accusés de partialité. » « Les juges de paix, disait Fourcroy après avoir visité les Deux-Sèvres, la Charente-Inférieure, la Loire-Inférieure et la Vendée, sont, en général peu éclairés et même mauvais. Ils ont une morgue et souvent une exagération fâcheuse. Ils contre-carrent les autorités administratives, surtout par rapport aux prêtres, dont ils ne devraient pas se mêler. En général, ils abusent de leur titre et de leur nomination par le peuple. Leurs greffiers commettent souvent des exactions criminelles… » « Les juges de paix, disait enfin Français de Nantes, chargé de l’inspection dans les départemens de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Var, des Basses-Alpes et des Alpes-Maritimes, sont excessivement mauvais. Des villes telles qu’Aix et Marseille, où il eût été si facile de faire de bons choix, ont pour juges de paix de simples ouvriers, qui sont sans lumières et sans considération. » Le régime électif avait porté tous ses fruits et disparut enfin sans qu’un regret l’accompagnât dans sa tombe.

Ceux qui veulent l’en tirer feront bien, ce me semble, de n’invoquer à l’appui de leur dessein ni l’exemple des États-Unis ni même celui de la Suisse ni surtout le nôtre.