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c’est-à-dire de détourner et d’exploiter la justice ordinaire à leur profit : c’est ce que le législateur, s’il ne se méprend ou s’il n’abdique, doit empêcher à tout prix. Nos juges permanens n’ont donc presque aucun trait de ressemblance avec les magistrats consulaires qui font habituellement le négoce et rendent accidentellement la justice ; les recruter, malgré cette dissemblance, par le même procédé, ce serait encore moins de la logique à outrance que de la logique à rebours.

Mais les tribunaux de droit commun sont élus dans une république voisine de la France, et l’expérience, d’après les partisans du système électif, a complètement réussi. « Je demande à nos honorables collègues, a dit, le 8 juin 1882, M. Gerville-Réache, pourquoi ils ne nous ont pas parlé de la magistrature de Suisse. Pourquoi ne nous en avez-vous rien dit ? Je vais vous le faire savoir. C’est parce que les résultats de l’élection sont excellens en Suisse et que nous sommes en mesure de les contrôler. » Quand ces résultats seraient, en effet, excellens, je doute qu’on en pût tirer, en ce qui nous concerne, une conclusion pratique. Se figure-t-on, sur un point quelconque de notre territoire, une sorte de champ de mai comparable à ces assemblées générales du peuple qui se réunissent dans la vallée d’Uri ou d’Unterwald pour traiter directement des affaires publiques ? Beaucoup de choses ne s’expliquent en Suisse que par les limites étroites du territoire, le nombre restreint des habitans, leurs mœurs pastorales, leurs vieilles traditions locales. Rien ne ressemble moins à ce petit pays que la France avec sa mobilité politique, ses révolutions périodiques, ses alternatives d’ardeur et d’indifférence, ses traditions militaires, sa puissante centralisation, son administration uniforme et méticuleuse, ses grandes agglomérations d’hommes et l’ascendant d’une seule ville sur les destinées publiques. Mais quand il en serait autrement, l’expérience a-t-elle aussi complètement réussi que paraît le croire M. Gerville-Réache ?

Sur tous les points du territoire helvétique où les partis luttent avec une certaine violence, les dernières élections judiciaires ont été purement politiques et, plus tard, dans les procès où pouvaient revivre les griefs du candidat, la rancune a dicté les arrêts du juge. A Lucerne, on a mis un intervalle de deux ans entre les élections des députés et celles des magistrats, pour laisser se refroidir les premières émotions ; mais la politique n’en a pas moins envahi les secondes élections. Il en est surtout ainsi dans les cantons où le grand conseil fait les choix, le jeu des partis étant plus vif en un champ plus étroit. Dans plusieurs cantons, les magistrats peuvent être députés, et le consul achève de mêler ce qui devrait être séparé. D’après les observateurs les plus impartiaux, il n’y a pas